Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

William / El Tunco / Salvador

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William regarde attentivement l'autel. Le Christ couleur or a la tête penchée. Il semble souffrir et être heureux. William a toujours entendu que c'est parce qu'il a souffert pour nous qu'il paraît heureux  !

En tout cas dans cette église William se sent bien. C'est calme et frais. Dehors, la chaleur pèse sur les corps. Il n'y a que les surfeurs étrangers qui, pareils à des couteaux d'aluminium, creusent les vagues de leurs planches.

William s'est arrêté pour acheter des Pupusas, des galettes de maïs garnies de fromage fondu.

Le clap clap clap des femmes qui applatissent entre leurs mains la pâte pour en faire des formes rondes retentit dans le village. William a attendu patiemment devant le feu qui grésillait. Elles doivent maintenant être à bonne température. Il sort du plastique un peu gras ses deux pupusas aux crevettes et les mange avec avidité et gourmandise. Il ne pense à aucun des péchés capitaux.

En regardant la statue de Jésus, William se souvient de ce qu'avait dit celui qu'on appelait le "gauchiste" dans sa famille. Un vieux monsieur édenté pour qui la couleur dorée était une ruse des conquistadors pour convertir les indigènes qui recouvraient d'or leurs dieux. Étrange, parce que le prêtre d'el Tunco n'en a jamais parlé. Pourtant le vieil homme n'était pas menteur. Quand il avait affirmé avoir été torturé par la police salvadorienne pendant la guerre civile, il avait montré ses cicatrices et William avait vu comme des dessins de barbelés sur son ventre !

William essuie ses mains et sa bouche, plie et range le sac plastique dans son sac à dos, en sort deux feuilles et un stylo. C'est toujours ici qu'il fait ses devoirs. Il doit écrire un texte sur les valeurs. Celles de  ses parents, de l'école, les siennes.

Il écrit :

"Être responsable. Chacun est responsable de quelque chose;  si on ne s'y tient pas comment fait-on ? 

Écouter et accepter ce que chaque personne pense. Sans crier. Sans en venir aux mains ou aux armes comme dans sa famille.

Aider. Collaborer. Comme une main tendue. Parce que c'est cette main tendue qui fait que les choses changent."

William aime voir les lettres qui se forment sur le papier.

Il s'applique, car demain il devra lire son texte devant un millier de personnes réunies pour célébrer l'anniversaire de l'indépendance du pays. William à 9 ans.

Demain à midi il mangera. Après il se changera, mettra une chemise blanche, un jean repassé et coiffera ses cheveux noirs.

La seule chose qui l'inquiète c'est que, comme il le dit souvent : "il y a un sérieux problème d'alcool dans ce pays…".

Et demain le pays entier sera, comme chaque fin de semaine, ivre jusqu'à l'inconscience. Mais il sait qu'au Salvador l'enfance est une des choses qu'on respecte. Alors il se dit que son corps d'enfant sur cette grande scène dénudée fera le silence et que sa voix ne tremblera pas. Il se dit que ses mots auront le temps de toucher les coeurs avant que la clameur de l'alcool ne reprenne le dessus.



28/08/2019
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