Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Nonato / Forêt amazonienne / Quelque part entre Brésil et Colombie

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Nonato marche sur un tapis humide de feuilles odorantes. Son tee-shirt rouge est trempé de sueur. Les muscles de son dos se dessinent à travers le tissu qui colle à sa peau. Il contourne une colonie de fourmis Atta qui chemine vers un tronc aux racines grandes comme un homme. Nonato marche en tongues dans ce coeur de jungle. Il avance délicatement comme s'il ne voulait déranger personne.

Autour de lui la forêt primaire; une nature vieille de plus de 300 ans dont certains arbres dépassent les 70 m. Il coupe avec sa machette l'écorce d'un arbre gris au corps plus fin que les autres. Sa chair suinte. Il frotte ses mains sur le liquide, s'en enduit le visage, la nuque, les bras, les jambes et indique aux deux blancs qui le suivent de l'imiter pour se protéger des moustiques.

La marche dure depuis 6 heures et les visages sont creusés comme des sillons labourés. Mais Nonato est heureux car il voit que leurs regards sont apaisés. Ils n'ont pas eu peur de la grande forêt. Il se remet à marcher. Un craquement de branche semblable à des coups secs le fait changer de direction et avancer encore plus lentement. De la main il fait signe de le rejoindre. Immobiles pendant de longues secondes ils attendent. Scrutant la canopée. Du menton il montre une direction. Sur une branche haute niche un toucan. Il est bleu, rouge, jaune et vert.

Les derniers rayons de soleil de la journée font scintiller son plumage. Derrière lui un des deux blancs glisse sur une racine et tombe. Le toucan s'envole et on aperçoit bientôt son long bec flamboyant qui tranche des lanières de soleil couchant.

Au lointain monte un son étrange, le vagissement des singes hurleurs. C'est un hurlement de vent rauque. Un grand bruit qui s'étend à des dizaines de kilomètres; un grand bruit qui inquiète quand on le découvre et qui envoute quand on l'apprivoise.

Pour Nonato la forêt amazonienne est une couverture ample qui adoucit l'âme. Il aime offrir cette douceur, loin de l'imagerie inquiétante des animaux dangereux. Même si parfois l'odeur âcre et cuiré du jaguar rode, il sait que la bête craint l'homme et le fuit dans des recoins inexplorés.

Nonato marche toujours lentement, un sac sur l'épaule gauche et sa machette dans la main droite. Parfois il s'arrête pour que le sifflement des sentinelles, les oiseaux qui préviennent de l'arrivée d'intrus humains, stoppe. Ce n'est qu'après un long temps que le vrai son de la grande forêt démarre, comme un cadeau à la patiente des visiteurs. Derrière le fond sonore puissant et permanent des grillons, des sauterelles et des cigales tournoient les gonflements des crapauds-pluie et des grenouilles dendrobates, les cris des aras, les caquètements des pics à cou rouge, les bruissements rapides des iguanes, les frottements des serpents-lianes, les vrombissements des moustiques et la caresse brutale des pluies.

Nonato est un extrait de cette forêt; lorsqu'il la quitte c'est un arrachement, une extraction douloureuse. En ville où il va voir ses enfants il se sent encrassé, poussif, inquiet; la peur le gagne même au bout de quelques jours.

Lorsqu'on l'appelle à nouveau pour emmener des visiteurs dans la forêt sa respiration reprend.

Sur sa pirogue, à chaque fois que sa rame ouvre une brèche dans l'eau, son corps exhale le pus de la cité.



11/12/2019
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