Fabrice Raspati Auteur

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Fernando / Villa de Leyva / Colombie

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Fernando est déçu. Il pensait passer un séjour parfait à Villa De Leyva. Il y avait réservé deux nuits dans un hôtel avec piscine, sauna, un grand parc arboré d’essences natives et un étang avec des poissons pour amuser les enfants. De quoi satisfaire tout le monde. Fernando est venu de Bogota en famille avec Maria-Fernanda, celle qui s’occupe des enfants.

Fernando sait que Villa de leyva est une des villes coloniales les mieux conservées du pays. La plaza Mayor est la plus grande de Colombie. La place et les rues adjacentes sont restées pavées de vieilles pierres et la circulation y est limitée. On y trouve toutes sortes de commerce de souvenirs des Andes et un artisanat remarquable. Il y a même un excellent restaurant coréen. Et la cordillère orientale des Andes, qui apparaît derrière l’église du 16ème siècle, est un écrin fantastique. Fernando, en avocat lettré, apprécie qu’ici se soient tenus les premiers états généraux qui ont accompagné la libération du pays. Il s’était promis de faire visiter à sa famille les maisons de Nariño et Ricaute deux figures de l’indépendance.

Mais rien ne se passe comme prévu. Fernando remet soigneusement la grande mèche lisse de ses cheveux à sa juste place. Le vent ne fait que la déplacer au milieu de son crâne et ce contact inhabituel le dérange. Il ne sait que faire avec la boue séchée qui salit ses mocassins en daim verts. Il fixe ces montagnes qui se chargent et se déchargent de nuages. Au moins à Bogota les choses sont claires, la ville vit sous un couvercle gris de froid et de pollution permanent. Mais ici le temps est réputé stable. Pourtant les nuages sortent d’on ne sait où, glissent sur les crêtes, enveloppent les flancs du mont Iguaque et disparaissent. Et en bas sur la place Fernando subit leurs humeurs.

Parfois la température s’affaisse, le soleil s’engouffre et vient chauffer la nuque. Et puis d’un coup d’un seul, la pluie s’abat comme une nuée d’oiseaux fous et voilà son épouse trempée, obligée d’aller se sécher dans les toilettes d’un restaurant. Et déjà quatre jours de cet enfer !

Engoncé dans son énervement Fernando ne remarque pas le petit homme qui traverse la place dans son dos.

Il marche lentement, est vêtu d’un pantalon noir usé et propre, de chaussures en vieux cuir noir, d’un ruana, sorte de poncho en laine épaisse du Boyaca et d’un chapeau aux bords courts. Sa peau est un masque cuivré, ses yeux noirs et ses pommettes saillantes.

Des comme lui il y en a beaucoup autour, mais quand les habitants de Bogota sont là le week-end, on ne les voit plus. Ils boivent un café ou une bière águila, assis sur un des bancs en bois qui ceinturent la place. Ils sont noyés dans leur propre ville. Par le clinquant des vêtements neufs autour. Par les enseignes des magasins dans lesquels ils n’entreront jamais.

Mais quand la marée s’éloigne, la terre qu’elle recouvrait réapparaît. Ils sont cette terre sèche, rugueuse, qui marche à petits pas sur les pierres noires de la ville.



03/04/2019
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