Fabrice Raspati Auteur

Juliana a 11 ans, des cheveux noirs sombres épais et des mèches vertes sur les pointes. Juliana vit à Villa de Leyva au pied de la cordillère orientale des Andes.

Elle est grande, très grande pour son âge et elle se sent parfois bien embêtée de sentir son corps muter.

Juliana préfère qu’on l’appelle Juli (se prononce Rouli). 

Elle aime regarder des vidéos de belles femmes qui se maquillent sur le téléphone de sa maman, manger des gaufres avec de la glace, jouer dans sa chambre avec ses Barbies. Elle les habille, les déshabille, les fait parler; c’est un peu une façon de leur dire au revoir car elle sait qu’elles seront bientôt emportées dans le flot de son adolescence.

Juli aime regarder Geraldo jouer avec les enfants. Geraldo (se prononce Rélaldo) est son beau-père. C’est lui qui chaque jour prépare le petit-déjeuner pour toute la famille. Pour elle, pour Sophia sa grande sœur et pour sa maman Adriana. Geraldo c’est une énergie toujours en mouvement, un amoureux de la vie, des gens et surtout des enfants.

Geraldo c’est lui qui accueille les enfants à l’entrée de l’école. Son sourire, sa façon de jouer avec eux, ça Juli elle adore ! Elle trouve ça “chevere!” ( génial !) d’entendre la petite porte verte de sa maison s’ouvrir et les bruits des enfants emplir l’espace. Oui parce que l’école c'est chez elle!

Geraldo et Adriana ont créé une école dans leur maison. Ça s’appelle YAS. Il y a une trentaine d’enfants qui viennent ici chaque jour. Il y même des grands de 17 ans et tous travaillent et apprennent ensemble. C’est un joyeux foutoir qui s’organise peu à peu, et c’est bien plus gai que l’école publique où il faut mettre un uniforme et rester assis sans bouger.

Sa maman a de grosses cernes mauves ce matin. Parce que toutes les nuits jusqu’à tard elle cherche, fouine, compile pour inventer la journée du lendemain.

Sa maman, toute son énergie elle la jette en vrac dans ce projet. Elle et Geraldo ne sont jamais aussi heureux que quand l’école bouillonne. On apprend à lire avec des professeurs retraités, chaque parent apporte son savoir-faire, on accueille des musiciens, des voyageurs de passage qui viennent raconter leur trajet, on y fait du yoga, du jardinage. Aussi on prend les décisions ensemble et les enfants participent et ça c'est super chevere ! ( Super génial !) Ce n’est pas un paradis pour autant, le pays est complexe, pauvre et violent. 

Mais ici à YAS la première chose qu’on vous dit quand vous arrivez c’est «bienvenue dans la famille! ». Et ça Juli, quand elle l’entend cette phrase, à chaque fois, elle se dit dit que la vie est belle comme du chocolat fondu.