Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Jose / communauté du fleuve Sinú - Córdoba/ Colombie

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Un matin Jose s’est retrouvé les mains vides.

Jose ne saurait dire combien de générations de pêcheurs il y avait eu avant lui, mais vivre ici dans les cienagas et les zones humides était facile. On savait fabriquer des barques en bois, on savait naviguer dans les canaux, jeter dans les airs des grands filets qui scintillaient dans le soleil et qui retombaient sur l'eau comme des toiles d'araignée. Il suffisait de les laisser dériver et de ramasser les poissons. Des poissons en grand nombre.

Et puis il y a eu ce fameux matin où il s’est retrouvé les mains vides.

La vie depuis toujours s’est arrêtée. Brutalement.

Il a attendu le jour d’après mais ses mains restaient vides. Il a cherché à comprendre. Et quand il a compris il est entré en lutte ! Contre le barrage hydroélectrique installé dans les zones de reproduction. Contre les grands propriétaires terriens qui réduisent les zones humides en les asséchant pour élever des vaches pour la grande distribution. Contre l’état colombien qui fait comme si eux n'existaient pas.

Mais il y eut trop de murs dressés, trop de menaces, trop d’assassinats. Et son assiette restait vide.

Beaucoup d'autres étaient touchés en pleine face.

Dans chaque communauté il y avait une association de pêcheurs; alors ils se sont rapprochés. Timidement. Ils sont venus partager leur dépit. Pour le diviser.

Jose raconte en riant qu’ils sont restés assis ensemble et qu’ils ont parlé pendant deux ans !  Pêcher est une vie de solitaire, ils ne savaient pas comment faire corps.

Jose ne se rappelle pas qui a eu l’idée mais c’est lui et cinq autres qui ont commencé à semer. Devant leur maison, dans leur jardin. Bananiers, plantes médicinales, yucca, maïs, manguiers, palmiers. Avec le vœu d’être autonome. Ils ont demandé à ceux d’ailleurs et aux anciens comment s'y prendre. Tout sert leurs ont-ils répondu. Il y a les grands arbres qui font de l’ombre aux plantes fragiles, les plantes qui donnent aux insectes de quoi polliniser . Il a fallut surélever les jardins car avec le barrage les inondations venaient sans prévenir. Mais en 6 mois les assiettes des 5 familles étaient remplies. Les pêcheurs étaient devenus cultivateurs.

Certains ont créé une structure plus grande,  regroupant toutes les associations;  pour tisser des liens et ne jamais se sentir seuls. Ils ont ouvert un magasin coopératif pour vendre les surplus. Ils ont été dans les écoles pour faire voyager l’idée. Ils ont créé un organigramme et ont théorisé leur expérience.

Aujourd’hui, 25 ans après, ASPROCIG est une organisation de 6000 familles et de 32000 personnes. Une organisation qui a préféré proposer un monde nouveau plutôt que de continuer à lutter contre un monde rance. Beaucoup viennent les rencontrer. De Colombie, d’Europe. Pour découvrir les racines de ce monde nouveau. Pour comprendre ce que Jose et les autres appellent la "vie savoureuse". Pour comprendre pourquoi ils n’ont quasiment pas besoin d’argent, pourquoi ils n'ont pas de leader, pourquoi ils ont l'air si heureux hors le grand monde, pourquoi ils mangent à leur faim. Ils répondent qu'ils ont le temps de parler jusqu’à être d’accord. Ils répondent qu'on ne peut pas se battre contre une armée de semeurs !

 



11/05/2020
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