Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Eduardo / Dibulla - Guajira / Colombie

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Eduardo marche à petits pas prudents sur la terre sableuse de Dibulla. Le chemin va du centre du village à sa «cabanita», une maison aux murs blancs et bleus qui surplombe la mer Caraïbes.

Dibulla c’est 10 rues qui se croisent à l’endroit où le fleuve rencontre la mer et c'est tout près de la frontière avec le Venezuela. Il y en a beaucoup qui partent de là-bas et qui passent par Dibulla. Des enfants même. A Dibulla l’air est chaud, la mer est brûlante et on boit beaucoup de bière. Dès l'heure du goûter les deux bars du centre montent le son et les gens crient dans la rue.

Ce sont des bons à rien dit le papa d’Eduardo. Lui préfère boire devant chez lui avec ses voisins. Comme ça quand il est fatigué il a deux pas à faire pour tomber dans son lit. En fait c’est 23 pas. Eduardo les a comptés. Bon, comme il a comptés en pas d’enfant c’est peut être moins, mais 23 c’est pas possible.

Eduardo a cinq ans et sa peau est noire comme les bois jetés par la mer sur la plage. Il marche sur le sentier et autour il y a des sacs plastiques par centaines, des canettes par milliers et des papiers par millions.

Eduardo, pourtant, ne remarque que les fleurs blanches au ras du sol. Elles sont tellement blanches ! Peut-être c’est parce qu’il n’y a pas beaucoup de blanc ici. Les gens ne sont que des variations de noirs, la mer est bleue, verte et marron, les toits de palmiers beiges.

Ou alors c’est parce que, comme dit son papa, Eduardo il lui manque une case !  Toujours à regarder la mer au lieu de sauter dedans avec les amis et surtout, incapable de voir le mauvais !

«Tu dois voir le mal mon fils, il est devant toi, autour, partout, sinon l’ogre va te manger et t’auras même pas le temps de crier! »

Mais Eduardo il les aime bien les Vénézuéliens, ils rigolent tout le temps et ils font des paniers en paille incroyables, on peut passer sa tête dedans et quand on appuie dessus ils deviennent tout petits et on les rentre dans sa poche.

Tous les jours Eduardo aide son papa après la pêche;  il faut défaire les filets et il adore parce que les poissons sont scintillants et ils sautent dans ses mains.

Ce matin il en a glissé un dans sa mocilla, son sac à dos rouge et vert tissé par les indigènes wayuu de la Guajira. Au moment où il filait vers la plage pour le donner à Simon, son copain Vénézuélien, son papa a aperçu la queue argentée sortir du sac et ils s’est mis à crier très fort.

Eduardo a trouvé ça très joli, parce que dans sa bouche il a vu une dent jaune briller, et il savait pas que son papa était riche et cachait son or à cet endroit.

Tellement il criait fort Eduardo a eu peur qu’il se fasse mal, alors il s’est accroché à ses jambes et il a dit papa arrête papa arrête papa arrête jusqu’à ce que sa petite voix déterminée prenne le dessus et que la grosse main chaude, avouant son échec, se pose sur ses cheveux et les caresse.

Puis la sentant retomber Eduardo, sans un regard, s’est dirigé vers la plage , son poisson à la main.

 



24/06/2019
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