Fabrice Raspati Auteur

Un jour Adriana s'est rasée la tête. Elle se souvient encore des boucles épaisses de ses longs cheveux noirs qui chutaient sur le sol. Du nouveau visage qui apparaissait dans le miroir. Du son de la tondeuse qui raclait son crâne, de son cuir chevelu blanc.

Elle voulait entrer dans l'armée mais l'Etat refusait. Alors elle avait fait du raffut ! Tellement qu'on prêta une oreille à sa détermination. Ses cheveux étaient le dernier obstacle. Elle les rasa sans hésitation et devint l'une des premières femmes militaires de Colombie. Elle démissionna quelques années plus tard. Avec la même rage que celle qui lui avait donnée la victoire !

Un autre jour, presque 25 ans après, elle décida de créer une école. Une école où l'autre n'est pas un concurrent mais un allié. Adriana vendait des programmes d'apprentissage en ligne pour des enfants qui grandissaient hors de l'école officielle. Mais une école à elle c'était autre chose. Avant la vie l'avait emportée, bringuebalée. Le nord du pays où elle vivait c'est un tourbillon de chaleur, de plages, d'amis, d'effervescence. Là-bas elle était toujours affairée.

À Villa de Leyva, au pied de la cordillère orientale des Andes, la mémoire est dans le sol, présente à chaque pas. Sur les vieilles pierres du centre ville où elle s'est installée, Adriana s'est ancrée, aspirée par les racines minérales. C'est là qu'elle et son mari ont voulu créer leur école. Ici, pas de maître rigide propriétaire d'un savoir et d'une morale. Mais des enseignants, ponts entre connaissance et élèves. Comme une revendication de liberté pour devenir ce que l'on est !

Chaque jour une quinzaine d'enfants et d'adolescents apprennent ensemble. Les grands montrent aux petits.  Souvent, on sort de l'école, on va dans la nature, on touche le monde autour. Avec ses cinq sens. D'autres fois, on apprend à prendre des décisions au consensus. On cuisine ensemble aussi. Avec les produits de la terre d'ici.  A 13h, quand la porte en bois vert de l'école se referme, que les pas des petits et des grands glissent sur les pierres bosselées de la rue, que leurs cris d'aurevoir qui n'en finissent jamais grimpent vers le ciel, Adriana cherche son deuxième souffle. Puis, elle fouille sans fin jusqu'à la nuit pour préparer le jour d'après.

Adriana est faite de feu et de braises. Comme beaucoup de Colombiens on dirait que des fumerolles des profondeurs de la terre la traversent et que rien ne peut arrêter cette énergie furieuse ! La vie est une incandescence *.

* Incandescence (nom féminin) : état d'un corps porté à haute température qui émet de la lumière.