Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Jon / Palenque / Colombie

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Jon attend dans la chaleur déjà étouffante. Le bus de ligne entre dans Palenque en klaxonnant bruyamment.

Jon attend ses touristes.

Les voilà qui descendent au milieu des marchandises et des locaux venus visiter la famille.

Ce sont les seuls blancs. 

Jon est Colombien et afro. Du Ghana ou du Congo, impossible de savoir. Mais avant d’être afro il est Palenquero. Il fait asseoir les visiteurs sur la place du village. Attendant leur attention. Quand il l’estime suffisante il se met à scander l’histoire de sa communauté. Campé dans les yeux de chacun. Il est vital d’être (bien) entendu :

«Carthagène, la grande ville du nord colombien est à 60 kms. C’était le plus gros marché aux esclaves de la colonie espagnole. Il y a 500 ans les nègres y étaient vendus sur la place publique comme des sacs de riz. Un jour certains se sont enfuis et sont venus à pieds jusqu’ici. Par le même chemin que le bus aujourd’hui...»

Il marque une pause et appuie son dos contre le dossier de sa chaise.

Puis, se remet à scander.

Il raconte la rage de ceux qui refaisaient le chemin pour harceler les anciens maîtres et faire échapper d'autres esclaves.

Il raconte comment leur haine les faisait paraître plus nombreux.

Il raconte les femmes qui dessinaient avec leurs tresses, sur leurs crânes, les plans permettant aux exilés de trouver leur route.

Il enseigne quelques mots de palenquero, cette langue qu’eux seuls comprennent, qui mélange espagnol, français, bantoue et portugais;  cette langue qui les protégeait mieux que les armes et qui, mêlée aux tambours, permettait de transmettre des messages.

Il raconte les colonisateurs, lassés, qui préférèrent rendre la liberté et qui firent de Palenque la première ville libre de la colonie.

Aujourd’hui Palenque a sa police autonome, son école et sa propre loi, prise au consensus entre habitants. Nul autre endroit de Colombie ne lui ressemble.

Jon est agacé par une femme blanche qui photographie les enfants qui jouent aux billes sur le sol sableux. C’est la même qui s’est appuyée contre le maestro Cassiani, 85 ans, connu dans tout le pays pour sa musique, faisant un selfie comme si c’était un copain de boite de nuit !

Jon a arrêté de cultiver la terre pour devenir guide, mais il a hâte que ce soit 15h, l’heure du dernier bus qui ramène les touristes.

Après, ils seront à nouveau entre nègres jusqu’au matin...



16/10/2019
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