Fabrice Raspati Auteur

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Roberto / Alter do Chao / Brésil

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Roberto lance un filet dans l'eau transparente du Tapajos. Des poissons argentés passent entre ses jambes et glissent le long des mailles. Il tire sur la corde et en voilà une dizaine piégés tandis que d'autres, d'un coup de queue, s'éloignent vers le large. Roberto sourit en voyant plusieurs "pirarucus", l'une des meilleure chaire du fleuve. Il jette le filet sur le pont avant. Les poissons sautent et leurs sons résonnent contre le métal.

Il s'assoit sur la pointe du bateau qu'il a hissé sur le rivage de la "ponta do cururu". Là chaque soir viennent les touristes attirés par l'image de carte postale vendue par les tour operator. Roberto regarde son couple du jour. Ils sont jeunes, beaux et amoureux. Ils s'embrassent à pleine bouche, goulûment.

Roberto n'est pas pressé. Le soleil se couche. Les ailerons de deux Botos, les dauphins roses de l'Amazonie, surgissent. Les deux corps s'appuient sur la surface avant de disparaitre dans l'eau colorée des derniers rayons.

Alter do Chao est un village paisible de 2000 habitants sur les bords du Tapajos, un des fleuves de l'état du para qui se jette dans l'Amazone. Vivent là quelques européens, des Brésiliens et les caboclos, les métis issus des mélanges entre colons et peuples boraris. Des cabanes vendent sur les plages grillades, sodas et alcool; on mange et on boit avec de l'eau jusqu'à la taille sur des tables et des chaises enfoncées dans le sable mouillé.

Le vendredi les familles affluent de Santarem, une des grandes villes portuaires de l'Amazone située à 30 km d'ici. L'eau devient chaude et sale, l'alcool et les cris emplissent l'air jusqu'au dimanche. Puis la ville est rendue aux habitants.

Roberto est un Munduruku, un des peuples de la forêt brésilienne. Il a quitté son village dans le parc flora en pleine jungle où ne vivaient plus que 6 familles. A Alter do chao il s'est improvisé guide. Il suffit de se poster sur la promenade en bordure de plage et d'attendre. Les gens veulent voir les oiseaux, d'autres des plages désertes, d'autres encore les dauphins. Et tous veulent le coucher de soleil sur la Ponta pour une bière et un selfie.

Alter do chao ne ressemble à aucun autre endroit du Brésil. La vie y est toute en langueurs. Roberto y trouve de quoi nourrir ses quatre enfants, même si chaque jour il faut aller travailler sans savoir ce qu'il adviendra. La saison des pluies est difficile, les plages sont inondées, mais à la saison sèche le blanc du sable réapparait comme un trésor enfoui.

Roberto sait que la terre mère rugit de ses eaux salies par le mercure de l'orpaillage, que la forêt pleure du sang à force d'être creusée et coupée pour l'exploitation minière. Certains des Mundurukus de son village se disent prêts à couper à nouveau les têtes comme ils le firent dans le passé avec leurs ennemis.

Roberto lui se contente de vivre chaque seconde de présent; grimper sur son bateau, démarrer le moteur, se lancer sur le fleuve large parfois de plus de 40 kms. Chercher la bonne onde pour adoucir les soubresauts et les gifles du large.

Une fois dans cet air là, quand la pointe brise les vagues, que les couleurs vertes de la forêt jouent avec les reflets aquatiques, que l'écume saute dans le fond de son esquif et lèche le métal rouillé, l'humain redevient humain.

Dans le regard des touristes qu'il transporte comme dans le sien vient une complicité, un lien. Au milieu de cette beauté la multitude devient unité. Tout s'assemble. L'origine renaît. Parfois Roberto coupe le moteur au milieu de ce tout. Il laisse les corps et les âmes se baigner d'infini. Quand la première parole vient il redémarre ayant le sentiment d'avoir fait sa part.



14/04/2020
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