Fabrice Raspati Auteur

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Angelina / Chichicastenengo / Guatemala

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Angelina est face aux 18 marches d'escalier qui grimpent jusqu'au parvis de l'église Santo Tomás. Il est déjà rempli de vendeurs, de guides et de badauds. Sur les escaliers rugueux sont assises les marchandes de fleurs. Leurs vêtements tissés de bleu, rouge, orange, vert se mélangent avec les couleurs éclatantes des fleurs fraîchement coupées.

Angelina est pieds nus. Elle attache le "Sut" autour de sa tête et noue le "P'ass" à sa taille. Le Sut, un foulard de cotton, symbolise les 4 coins de l'univers physique, de l'univers intérieur et extérieur; il équilibre les énergies. Le P'ass, un tissu rouge, est le fil de la vie et du temps.

Angelina entame l'ascension. Ses jambes la font souffrir. Ses cheveux gris ont des reflets argentés et elle est élégante, malgré son dos vouté. Elle s'installe face aux deux portes ouvertes de l'église. Dans son dos, le marché de Chichicastenengo, le plus grand d'Amérique centrale, sa foule compacte, ses montagnes de tissus et de nourriture. Une femme pénètre dans l'église à genoux. Elle ira ainsi jusqu'à l'autel, une centaine de mètres plus loin. Elle repartira à genoux, sans tourner le dos au christ et ne se redressera qu'à l'extérieur.

Elle passera, sans les regarder, devant les altar, des tables en métal à peine surélevées du sol sur lesquelles brillent des centaines de bougies et autour desquelles prient, assis ou accroupis une cinquantaine de personnes.

Elle passera devant les familles endimanchées qui attendent que leurs enfants soient baptisés. Les bébés, vêtus de dentelles blanches, dorment ou pleurent. Le prêtre baptise à la chaîne. Les familles attendent comme à une caisse de supermarché, calmement, en file. Une femme, debout sur l'autel, chante en quiché, l'une des 24 langues mayas. Tous ici sont mayas.

L'église, bâtie sur les ruines d'un temple indigène par les conquistadors, est catholique. Édifiée pour écraser une culture qui, 400 ans plus tard, croit avec ferveur à deux religions. Le catholicisme est devenu polythéiste. Jésus est désormais un dieu parmi les autres.

Angelina, sur le parvis, agite son bras droit dans un mouvement lent et régulier. Dans sa main, l'anse d'une casserole où brûlent des plantes. Des nuages épais de fumée en sortent. Elle  impulse un mouvement assez lent d'avant en arrière et psalmodie en quiché.

On dirait quelle danse.

Sous le ciel bleu.

Sous le soleil, dont la brûlure entame déjà les faciès.

Angelina est Arqui, le guide spirituel des mayas. C'est celui qui parle avec les défunts, qui arrondit les angles rapeux des vies. On le paye pour qu'une maladie fuit un corps ou pour qu'un commerce fonctionnne mieux. C'est maintenant l'heure à laquelle les Arquis dansent pour que les souhaits se réalisent. D'autres Arquis autour d'elle, hommes et femmes officient. A Chichicastenengo on en répertorie plus de trois cents. Les touristes hésitent à se hisser en haut des marches. Certains payent un des guides indigènes qui attend sur le marché pour tenter de comprendre cet immense tourbillon de croyances. Les guides racontent aussi le Popo vuhl, la bible maya et évoquent les nombreuses guerres entre les différents tribus mayas avant l'arrivée des espagnols.

Angelina danse sur les pierres du temple de ses ancêtres.

À chaque pas elle récupère un peu du passé volé de son peuple.

À travers les volutes acres son chant grimpe vers le ciel et fond en touchant les premiers nuages.



03/10/2019
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