Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Umberto / îles San Blas / Panamá

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Umberto est un poisson. Hors de l’eau son temps de respiration est limité. C’est pour ça qu’il est skyper de voilier. Pour être contre l’eau.

Quand les voiles se tendent, quand il sent cette poussée unique dans ses reins il s’apaise.

Lorsqu’il s’arrête au mouillage Umberto ne dit rien. Les touristes, médusés, le regardent descendre sous le bateau nettoyer hélice et gouvernail. Ce n’est que quand il réapparaît, détendu par les courants, qu’il répond aux questions. Puis il va s’allonger sur le pont, sous le grand mât, là où il aime dormir et laisse l’équipage s’occuper des clients.

Umberto fait le trajet de Carthagène aux îles panaméennes des San Blas depuis 20 ans. Les San Blas c’est un archipel de 350 îles dans la mer Caraïbes. Derrière les barrières de corail les îles offrent un paradis tropical sans moustiques et des plages de cartes postales.

Le peuple kunas vit ici. Agriculteurs descendus des montagnes du Darien où les cannibales et les inondations rendaient la vie trop difficile. Ils se sont installés là, ont défendu l’archipel contre les conquistadors, les pirates et sont devenus pêcheurs.

Umberto mange debout dans la cuisine. Les deux jours de navigation se sont bien déroulés. La mer était bonne, il était seul à la barre, respirant les embruns de toutes ses forces. Les passager, malades comme à chaque fois, vomissaient ou dormaient. 

Umberto grogne une réponse à un américain sans quitter des yeux la pirogue en bois qui s’avance vers le voilier. C’est Firmin qui dirige à la pagaie son embarcation dans les vagues hautes de l’aube. Firmin est un ami Kunas, il amène du poisson, du poulpe. Et aussi des noix de coco qui étaient encore récemment la monnaie des Kunas.

Umberto prend les marchandises, le paye en dollars et lui tend un sac plastique avec du riz, de l’huile, du café, de la farine. Il l’aide aussi à transférer des bidons d’eau potable. Tout manque sur ces îles et il  pense toujours à ramener un peu.

Firmin est un grand facilitateur car en pays Kunas tout se paye et se négocie durement avec les autorités de la nation.

En regardant le dos musclé de Firmin se tendre pendant qu’il s’éloigne en ramant, Umberto se dit que le Panamá a dû se réveiller groggy ce jour de 1925  où les kunas, épuisés par les mauvais traitements de l’administration, se sont peints le visage en rouge, sont montés sur leurs pirogues et, en pleine nuit, ont attaqué l’île de Porvenir. Il ont ouvert les gorges de quelques policiers, ont pris en otage le gouverneur et se sont proclamés province libre de Guna Yala.

Grâce à cette nuit, qui a coûté la vie à beaucoup, ils sont autonomes et ont leur propre constitution.

Umberto sourit aux néo-zélandais et leur donne poliment le programme de la journée.

Puis, manquant d’air il plonge dans l’eau fraîche. Il se sent lié à ce peuple farouche qui ne s’approche que pour vendre son artisanat. Umberto nage sous l’eau, contourne une raie Manta et aperçoit l’ombre du bateau de Firmin qui s’éloigne, comme unie à la mer. Il étend ses bras à l’infini et laisse le courant remonter son corps à la surface.

 



20/07/2019
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