Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Maria-Luisa / Oventik / Chiapas / Mexique

 20190930_165318.jpg

 

Maria-Luisa est debout derrière le muret en béton. Elle remonte son foulard rouge au-dessus de l'arête de son nez et s'avance vers les visiteurs qui s'approchent de la grille interdisant l'accès d'Oventik.

Ils doivent remplir une fiche avec leurs noms, numéro de passeport et expliquer les raisons de leur venue. Elle attend patiemment pendant qu'ils écrivent. Ses grands yeux noirs observent les visages. Leurs peaux lui semblent étrangement pâles, leurs gestes nerveux et pressés. Elle confie le document à Christian qui descend lentement la pente bétonnée qui mène jusqu'à une baraque en bois dont la façade est peinte d'une fresque rigolarde du général Zapata.

Les visiteurs patientent longuement sous une banderole où est écrit: " Oventik / Caracol / Résistance et rébellion pour l'humanité/ Chiapas".

Christian revient avec l'autorisation de visite accordée.

Oventik est une terre zapatiste.

D'abord il y eut le feu des fusils.

En 1994 les indigènes Mayas, alliés aux intellectuels maoïstes sous la bannière EZLN ont envahi 4 villes des Chiapas, tuant qui étaient sur leur chemin. Se délestant de centaines d'années de non existence. Réclamant l'autonomie des peuples indiens.

1994 pour Maria-Luisa c'est la préhistoire. Un conte raconté dans toutes les familles. Un conte hideux où l'état mexicain réplique avec fureur. Une histoire monstrueuse où il faut se cacher malgré les accords de paix signés en 1996. Militaires, para-militaires, beaucoup veulent la peau des insurgés.

Après le feu des fusils il y eut le temps de la parole.

Des années de négociation et de jeu du chat et de la souris. L'état mexicain promettait à la face du monde et tuait dès que le monde regardait ailleurs. Les zapatistes occupaient les terres, s'organisaient et apprenaient en cheminant, refusant toute aide de l'état.

C'est dans ce temps qu'est née Maria-Luisa. En 2003; l'année où le sous commandant Marcos a proclamé la naissance des "Caracol", provinces autonomes auto-gouvernées. Pour Maria-Luisa légende et réalité se mêlent. Elle aide dans les champs, va à l'école zapatiste boycottant l'école officielle de l'état, coupe des feuilles destinées à la fabrication de médicaments pour l'hôpital communautaire, participe aux réunions de prise de décision du "conseil de bon gouvernement".

Aujourd'hui elle fait le guet et accompagne les visiteurs dans la découverte du "Caracol", vérifiant qu'ils ne prennent aucune autre photo que celles des peintures murales colorées et des slogans. Sur le chemin en béton quelques boutiques vendent des surplus non utiles à la communauté, des souvenirs et des textes issus de la lutte. Maria-Luisa sourit derrière son tissu de l'engouement provoqué par les poupées en tissu du sous commandant Marcos. Elle sait que l'argent n'est pas le plus important. Ce qui compte c'est qu'on parle d'eux à l'autre bout de la planète. Sans ces relais ils seraient tous morts ! Voilà ce que pense Pablo, son père, un des proches du sous commandant Moises, le successeur de Marcos.

Maria-Luisa ne parle que le Tzotzil, une des 24 langues mayas, alors, sans un mot elle montre du doigt l'esplanade sur laquelle étaient réunis 2000 personnes il y a peu.

2000 personnes venues pour hurler que la légende perdure malgré les années.

2000 personnes qui étaient comme un seul grand corps; déterminés à être un exemple vivant, actif, enragé et imputrescible.

En remontant vers la sortie elle effleure la main de Javier, celui qu'elle aime et dont elle porte l'enfant. Lui, caresse le ventre de Maria-Luisa en se cachant des visiteurs et saute dans les airs. Maria-Luisa rit.

Ils ont décidé de rester ici à Oventik.

Ils savent qu'ils sont au coeur du monde nouveau.

Ils sont justes.

Ils sont le jour après l'oppression.



17/11/2019
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 63 autres membres