Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Miguel / San Cristóbal de las Casas - Chiapas / Mexique

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Miguel aimait le sucre. Dans le café. Dans les biscuits. Dans les barres de chocolat. Il aimait le sentir couler dans ses veines. Il aimait entendre le son de tout ce sucre. Sans lui rien n'était assez bon, assez excitant, assez sexy. Contrairement aux bobards que l'on raconte Miguel sait que le sucre est la drogue la plus dure et la plus répandue sur cette planète.

Après qu'il ait décidé d'en finir avec lui le manque gigotait souvent et il se forçait à avaler plusieurs verres d'eau pour conjurer l'absence.

Au Mexique, comme dans toute l'Amérique centrale, chaque supermarché, chaque échoppe de rue, chaque "tiendita" de la plus reculée des terres est aux mains du Dieu Sucre !

On trouve partout ces mêmes bombons aux papiers argentés et aux couleurs criardes qui crissent sous les doigts, ces mêmes bouteilles de sodas rouge, jaune, orange, mauve, ces sacs de sucre blanc vendus par kilo. Et dans les rues, dans les sentiers de terre, les rives des fleuves, les bureaux, les cours d'école, les bus, les taxis, d'une manière ou d'une autre et plusieurs fois par jour chacun suce sa substance.

Miguel est guide touristique. Il recrute en ligne les occidentaux qui ne veulent plus voyager en groupe. Peu importe qu'ils passent là où des millions d'autres sont déjà venus, ils veulent être seuls. Pour se sentir uniques. Pour s'imprégner de l'âme des Chiapas. Ils veulent les cascades aux eaux azurs, ils veulent les cités Mayas de Palenque et Toniná, ils veulent le syncrétisme de San Juan de Chamula. Si on est attentionné ils sont agréables et payent cash. De l'argent direct sans intermédiaire.

Assis au comptoir en bois d'un des beaux cafés du Zocalo, la place centrale de San Cristobal de las casas, il attend un couple d'américains qu'il doit accompagner à Oventik, une division administrative Zapatiste. Il aime aller chez les Zapatistes d'autant qu'eux ont rompu avec le Dieu Sucre.

Ce qu'ils consomment ils le produisent alors ils n'ont aucun temps pour le superflu. Miguel mange un fruit pour accompagner sa tasse de café. Depuis qu'il ne sucre plus la saveur des aliments lui est revenue. Pas les premières semaines où tout semblait fade. Où il se sentait nerveux. Où il s'endormait plusieurs fois par jour sans raison. Mais il se souvient du moment où le goût est arrivé. Une deuxième naissance ! Tout l'avant lui sembla comme enfermé dans un voile !

Même son attention aux choses changea. Il pouvait lire, parler, manger sans que sa pensée cavalcade en permanence vers un après. Exister redevenait suffisant.

Dans la voiture qui grimpe dans les montagnes vers Oventik Miguel raconte à ses voyageurs le Dieu Sucre et les Zapatistes. Il n'est pas l'un d'entre eux, mais il aime le terreau qu'ils ont creusé depuis l'insurrection de 1994. Ils sont pour la plupart Tzotzils, l'un des 24 peuples mayas. Lui est métis moitié Tzotzil. Ils disent lutter pour l'humanité. Pour un monde de solidarité où le peuple ordonne et le gouvernement obéit.

Miguel pense que ceux qui peuvent décider par eux-mêmes sont ceux qui ont su lever leur propre voile.

Quand au détour d'un virage la jungle crache sa verdeur lumineuse dans l'habitacle de la voiture il propose de faire quelques pas sur un sentier pour entendre les cris des singes au milieu des bananiers, des caféiers et des champs de mais. Il interroge ses voyageurs aussi pour découvrir ceux qu'il met en contact avec son pays.

Miguel parle avec douceur, une douceur retrouvée qu'il aime partager. Il croit que les pensées sont comme des graines. Jetez-les dans les airs et elles retombent toujours sur le bon sillon !



04/05/2020
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