Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Consuelo / Villa de leyva / Colombie

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Je m’appelle Consuelo Quintero. Je suis née ici à Villa De Leyva et il n’y a pas un jour qui passe sans que je me souvienne de mon enfance (...)

Lorsque ma grand-mère balayait la pierre noire de nos terres du dos de sa main ridée c’est qu’elle nous invitait à nous asseoir pour nous raconter une histoire.

Ma préférée était celle du Pedregal. Ici, il y a des millions d’années, la terre était recouverte d’une mer immense. Puis l’eau, poussée par le vent s’en est allée et a laissé sur son chemin des pierres noires comme des fonds marins. Elles cachaient un très grand secret. Pour le découvrir nous devions nous poster à un endroit précis de sa maison d'où on apercevait, plus haut, un bout de terre caillouteux, le Pedregal. Là trônait un arbre magique, l’Herrerum. Il fallait attendre et d'un coup une lumière couleur or remplissait l’espace. Même les pierres se nimbaient de doré. On aurait dit qu’un trésor rutilant apparaissait. Grand-mère disait que la lumière venait de l’Herrerum et il était, c’est vrai, bien plus lumineux. Elle affirmait qu’il y avait là une porte secrète et que, si on la franchissait on voyait avec les yeux de l’enchantement.

Les mots de ma chère grand-mère se sont entortillés dans mon cœur de petite fille. Et ma vie de femme m’a emmené loin de ces terres. En Hongrie, en Italie, au Mexique. Partout je suis tombée en amours. Des gens, des montagnes, des villes, des livres, des peintures, des conversations. D’amours en amours j’ai traversé les années. Sans y penser. En les dévorant avec gourmandise.

Puis un jour, je ne saurais dire comment, un jour que j’étais encore une fois tombée en amours, je suis tombée plus fort que les autres fois. Et ne suis pas parvenue à me relever. Je ne ressentais plus.

Affaissée, je décidais de rentrer ici, à Villa de Leyva. Je venais chaque jour sur le Pedregal. Je marchais sur ce terrain en friche et rugueux, je suivais les traces de la roche au milieu des herbes hautes et des buissons tordus, m’égratignant sur les épines des hayuelos, ces arbrisseaux de la cordillère qui régénèrent les sols.

Je suivais les contours de cette parcelle dont personne ne voulait. Trop pentue, trop aride, pas labourable. Pourtant la vue sur les Andes y était spectaculaire et au pied de l’Herrerum j’avais pris l’habitude de les contempler. À nouveau je tombais en amours. Mais mon apaisement disparaissait une fois partie, alors je revenais chaque jour. Une fois que j’étais restée plus tard que d’accoutumée et que la nuit glissait sur la vallée, une lumière dorée de soleil envahit brutalement les pierres noires. L’image de ma grand-mère, de Bachue, la déesse Muiscas dont la légende dit qu’elle est à l’origine du monde m'apparurent. Depuis je n’ai plus quitté le Pedregal !

Souvent en arrivant ici vous me demandez si j’ai passé la porte de l’herrerum ?

Alors je souris et sans répondre je marche vers ces énormes pierres noires qui dessinent les chemins et soutiennent les maisons aux murs d’adobe que nous avons construites avec mes filles. Et je tends la main sur mon passage aux hayuelos... 

 



30/10/2019
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