Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Philippe / Antecumpata/ Guyane

IMG_20190101_161047.jpg
 

 

Philippe est sec comme un de ces bois morts qu’on trouve dans la forêt et qu’on ne saurait casser. Nerveux, le regard toujours inquiet. Il parle vite, très vite d’un langage étudié et construit. Un beau français élaboré. Il lit beaucoup, cela se sent: de la littérature, des essais, de l’histoire, de la sociologie, de la philosophie. Il lit pour s’apaiser et il s’apaise le temps de la lecture. Après il redevient inquiet. Il assène sa vision du monde sous formes de monologues imposés et laisse son interlocuteur groggy. Il s’arrête toujours de lui-même, comme si sa propre logorrhée l’étonnait. Philippe hait l’hypocrisie, les masques rances et obligés de la société et souffre du constat que les siècles passent et que les mauvaises habitudes restent. Philippe a la peau complètement à vif.

 

Mimissikou est de petite taille. On dirait que ses pieds sont sous terre, vissés aux racines des grands arbres de la forêt. Il est calme et chacun de ses gestes est juste. C’est un des anciens du village. Quand on lui parle c’est comme si son regard venait à l’intérieur de son interlocuteur. Il laisse les mots faire leur chemin de son jusqu’à lui. Il écoute jusqu’à ce que la parole soit finie. Ensuite, il y a toujours un silence.

 

 

Pour sentir si cette parole venue par les airs à un écho. S’il n’y en a pas il ne dit rien. S’il y en a un, il répond d’une voix douce et assurée qui contraste avec les muscles saillants de ses bras et l’absence d’expression de son visage.

 

Philippe et Mimissikou vivent à Antecumpata, un village sur le fleuve Maroni accessible uniquement en pirogue. Philippe est infirmier au dispensaire et Mimissikou est là depuis la création du village. Antecumpata signifie village de l’homme blanc. Fondé par un français qui fit le choix il y a quarante ans de vivre comme un Wayana. Un vieux monsieur combattant de la cause indigène, désormais fatigué et dépité par les effets dévastateurs de l’alcool et des images des écrans sur les habitants de la communauté.

Philippe et Mimissikou se retrouvent souvent sur un banc devant les ruines cendrées du Tukucipan, le lieu de rassemblement pour les fêtes et les réunions politiques. Brûlé par un pétard lancé par un ivrogne, il n’a jamais été reconstruit.

Ils vont pêcher et chasser ensemble et aucun mot n’est prononcé. On écoute la forêt, on l’écoute jusqu’à ce qu’elle offre un craquement de branches ou un rayon de soleil qui vienne trouer la canopée et illuminer le sol humide.

On regarde la surface de l’eau pour surprendre un mouvement aquatique. Mimissikou se lève alors et plante son harpon pour en ressortir un poisson brillant à la gueule dentée. Il a appris à Philippe le bon geste et Philippe l’a convaincu de ne pas abuser de ce poisson pollué par les rejets de l’orpaillage.

Aujourd’hui ils reviennent au village avec un tapir. Philippe met les mains dans les entrailles de l’animal, taille dans son dedans avec une machette. Puis il repart avec un civet chaud dans une gamelle et rentre dans sa cabane sur pilotis. Calmé, cicatrisé, il déguste la chair fondante en regardant les enfants se laver dans le fleuve tourmenté par les courants.

Demain Philippe quitte le village pour un autre dispensaire.

Demain Philippe ne sait pas comment il fera pour retrouver son calme.




09/04/2019
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 63 autres membres