Mateo / Cali / Colombie
Mateo n’a pas peur de mourir. C’est ce qu’il se dit en rangeant sa caméra dans son sac. Mateo est un indigène. Sa vision du temps n’est donc pas linéaire. Et puis il vit dans un pays où un homme accepte d’en tuer un autre pour 250 euros.
Mais Mateo n’a pas toujours été un indigène. Il est né à Bogota dans une famille bourgeoise. Il a longtemps porté des lunettes d’intellectuel et des cheveux courts. Il a étudié le cinéma à l’université et est devenu réalisateur. Son nom de famille rappelle celui des conquérants espagnols de la colonisation.
Un jour, une commande l’a emmené au nord du pays dans une communauté Kogis près de Santa Marta. Pendant qu’il filmait le cacique du village, Matteo s’est vu dans un miroir. Il ne s’est pas transformé, il n’a pas eu de vision en 3D comme dans un film américain, il a seulement vu à quel point les traits de son visage étaient identiques à ceux de cet homme qu'il interviewait, à quel point sa façon de parler, de peser les mots correspondaient à quelque chose de profond chez lui. Matteo s’est découvert dans ce miroir de l’autre.
Peu de temps après il a eu le besoin de quitter Bogota pour Cali, ville géographiquement plus proche des communautés qui l'intéressaient. Une ville de sauvages, une ville noyée dans la guerre des cartels, une ville violente et rugueuse. C’est à ce moment qu’il est devenu un indigène de la ville comme il aime à le dire. Depuis, il n’a de cesse de sillonner la Colombie pour filmer ses cousins. Pour semer des graines de savoir dans ce pays d’ignorants. Ses cheveux ont poussé, ils sont très noirs, longs jusqu’au milieu du dos et un peu bouclés. Sa peau paraît ainsi plus sombre qu’avant.
Mateo dit qu’il est un pont. Un passage entre un monde de savoir ancestral et un autre, moderne, qui s’autodétruit. Pour que l’un reprenne sa place et que l’autre se sauve de lui-même. Mateo n’est pas inquiet, le nouveau monde existe et est en marche. Il le filme sans relâche, sa caméra est son arme de combat.
Aujourd’hui il prend la route pour le Cauca pour témoigner des blocages routiers des indigènes sur la panaméricaine. Il sait qu’il y a des morts et des blessés mais peu importe, il sera à sa place. Et puis si lui est mortel, ses images elles, vivront tant que des yeux les verront.
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