Fabrice Raspati Auteur

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Ivan - quelque part dans le département de Boyaca - Colombie

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Ivan connait un secret millénaire dont le monde entier se fiche !

Au cœur des Andes, niché derrière la grande cordillère orientale, son accès est compliqué.

Il faut grimper dans la montagne aux pierres rouges au-dessus d'un village dans des terres argileuses d'où l'on gratte le sol pour fabriquer des céramiques noir charbon.

Là où les immenses "maguey" s'enfuient vers un ciel qu'ils parviennent presque à toucher.

Ivan admire ces plantes qui ressemblent à des agaves avec leur longues feuilles raides et charnues qui s'étalent au sol comme des pétales trop grandes.

Elles sont à leur aise dans la végétation sèche et rase, les pierres glissantes et les éclats de quartz brillants.

Un jour et une seule fois, au bout d’une vingtaine d’années, le "maguey" fleurit. Alors pousse en son centre une tige fine qui jaillit jusqu'à 10 m de hauteur ! Puis, lentement, la fleur sèche sur son sommet, meurt et le vent étale ses graines autour pour que d'autres naissent. Et ainsi de suite jusqu'à toujours.

Ivan aime partir tôt le matin avec son chien, un petit bâtard blanc, musclé et vif qui se réjouit de ces ballades. Après une montée raide et longue on surplombe une vallée profonde qui surprend le regard par le vert qui la recouvre.

On se sent étrange entre ces deux paysages qui ne vont pas ensemble, l'un sec comme un désert rocailleux et poussiéreux, l'autre verdoyant comme une vallée autrichienne.

Ivan descend habilement la pente et s'engouffre dans le vert.

Une herbe haute monte jusqu'à la taille. Au milieu se cachent des vaches dont seules les têtes dépassent. Une rivière à l'eau glacée descend des Andes et bruisse.

Quelques goyabas, des arbres aux troncs tordus et pelés, prennent pieds le long des rives.

Contre la vallée un bloc rocheux immense s'ébroue de la rosée de la nuit.

C'est dans ses strates qu'est caché le secret d'Ivan.

Sur la roche blanche, derrière une palissade de galets, nagent des traces rouges effacées par le temps.

Ce sont des dessins. On y trouve des visages humains, des chouettes, des formes, des symboles.

Ce sont les ultimes traces des Indiens Muiscas, le peuple racine de cette partie des Andes. Rayé de la carte par la conquête espagnole. Il n'en reste rien à part quelques sites sauvés ci et là.

Il n'en reste rien à part ces dessins.

Ils sont là depuis 1500 ans.

Ils sont là et n'intéressent personne.

On leur préfère un parc avec des dinosaures géants ou le musée du chocolat.

Même si le visage des habitants du département a la même forme que certains visages des fresques.

Ivan a dressé ce mur de galets pour les protéger des vandales; il a négocié avec le propriétaire du terrain pour ne pas qu'il les détruise ou qu'il les vende en pièces détachées à des collectionneurs.

Ivan doit payer un tribut chaque fois qu'il rentre sur le terrain. Il y emmène parfois des visiteurs.

Ivan a quitté son emploi d’historien à Bogota pour venir ici; penser le passé entre quatre murs de béton n’avait pas de sens.

Il cumule désormais des milliers de notes sur ce peuple disparu et sur ces peintures murales.

Sa vie est simple entre marche et écriture.

Le monde autour est le monde qu'il se construit.



04/07/2020
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