Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Andres / Cali / bosque colibris/ Colombie

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Cali porte dans son corps 3 millions d’habitants. Andres s’en est extrait et vit désormais dans un de ses quartiers ruraux. 

Andres roule sur la quinta de Cali. Il évite les taxis jaunes qui se jettent hors de leur file. Il roule en moto, très vite, et le vent lèche son casque.

Dans la caisse arrière de sa Yamaha de la gelatina , sorte de chamalow mélangé avec de la panela, le sucre colombien extrait de la cane. Il s’arrête à Siloe pour quelques courses rapides au supermarché. Le quartier est tendu. Pas dangereux, comme quelques cuadras plus haut où pas une maison ne s’est édifiée sans l’argent des cartels de la drogue, mais on ne s'y attarde pas. Il redémarre et fonce entre deux poubelles où sont en train de manger deux torses nus, mi homme-mi animaux. Il tourne à gauche, juste après une des panaderías du quartier et se lance dans la montée. 

Une montée si dure que certains taxis refusent la course. La route s’élève au-dessus de la ville qui devient rapidement un décor lointain avec ses milliers de cubes de béton et ses gratte-ciel plantés en plein milieu.

Puis elle se transforme en une piste remplie d’ornières. La terre rouge, gorgée de la pluie glisse, colle aux roues et se jette sur les vêtements. Il faut parfois poser un pied au sol pour assurer le passage. À El minuto il croise les dernières jeeps collectives qui sont les seules à pouvoir se hasarder ici.

Andres gravit enfin les derniers 100 mètres de boue et de caillou. La nuit arrive et avale les grands arbres aux feuilles étranges en forme de gants de baseball. Il rejoint Paola, son épouse et s’endort avec elle, bercé par le "clang" de la pluie qui toute la nuit sonne sur la tôle du toit.

Le matin, dès l’aube, Andres enfile ses bottes et s’enfonce dans le sol gluant jusqu’à ses plantations de café. Il a vendu son entreprise de graphisme pour s’acheter ce bout de rêve. Marcher sur ces pentes abruptes est un exercice complexe mais Andres, malgré son physique d’ours pataud, semble insubmersible. Il vérifie la maturité de quelques caféiers. Puis, dans le hangar, à l’abri de la pluie qui ruisselle sans fin, il trie grain par grain plusieurs kilos pour séparer le café de l’export et celui, moins bon, la pasilla, destiné au marché colombien. Avant il a fallu les faire sécher, les laver et les faire tremper plusieurs fois.

Il glisse ensuite jusqu’à son écran d’ordinateur où il  travaille à la création des étiquettes de ses paquets de café. Cet après midi il attend une vingtaine d’étudiants qui viennent assister à un atelier de découverte du café. Il les emmènera ensuite au bord de la rivière, une de celle qui dessert Cali en eau potable. Entre les arbres il a accroché une toile d’araignée en corde sur laquelle on s’allonge. On y est suspendu au-dessus du tumulte de la cascade. De là lui et Paola invitent à fermer les yeux et à chacun de dire combien de sons il entend. Il y a tout autour une cinquantaine d’oiseaux différents, des grillons, des crapauds et c’est un concert ahurissant.

Beaucoup en ressortent perturbés, déséquilibrés, le regard un peu différent. D’autres s’en moquent et s’extraient du bois en cherchant du wifi ou en ricanant.

Peu importe, Andres et Paola, très naïvement, ne cherchent qu’à ouvrir des brèches de conscience dans la sécheresse des cœurs.



27/04/2019
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