Fabrice Raspati Auteur

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Hervé épisode 1/ Guyane / Saint Laurent du Maroni

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Hervé sourit au milieu de l’extrême agitation du quai. 

Il est 6H30 et ici à la Charbonière, un des endroits réputés infréquentables de Saint Laurent du Maroni, la tension est palpable.

Le «quai» est une bande de sable à même la ville qui descend sur le grand fleuve. 

Hervé, pieds nus, pantalon de toile remonté jusqu’aux genoux, attend devant une pirogue. Il y en a là une trentaine, certaines de fret d’autres de transport de personnes. Devant chacune un groupe patiente. Hervé est le seul blanc. Les blancs,en général, prennent l’avion.

Tous les autres voyageurs sont Bushinengue, descendants des esclaves échappés des plantations au 18ème siècle. Il y des Paramakas, des Saramakas, des Alukus et des Djukas. Hervé va à Gran Santi, un des villages du fleuve qui est Djuka.

Tous les piroguiers sont Bushinengue; eux seuls savent conduire ces longues pirogues de presque 20m de longueur et d’à peine 2 m de largeur. Elles sont en bois, un bois brulé pour expanser la coque afin qu’elle supporte les remous du fleuve.

Hervé tend ses deux grosses valises de voyage à Kenny son piroguier. Elles tranchent avec les autres bagages: sacs poubelles fermés avec du gros scotch, cartons éventrés et réparés à la va vite, planches de bois, packs de bières, glacières isothermes.

C’est un entrelacs incroyable. Kenny pourtant range les choses dans un ordre précis, savamment étudié. La pirogue s’enfonce petit à petit dans l’eau et le poids donne l’impression qu’elle va être submergée. Les valises d’Hervé viennent en dernier et sont posées sur des boites de sauce tomate qu’elles viennent caler. Tout est enfin bâché assez grossièrement.

Ce n’est qu’à ce moment que les passagers sont invités à s’asseoir dans la pirogue sur deux bancs parallèles entre lesquels un seul mètre d’espace subsiste. Espace vite comblé car chacun s’installe et dépose entre ses jambes son sac pour la journée. Une dizaine d’heures de voyage est annoncée sans plus de précision.

Hervé se retrouve compressé, quasi étouffé par l’imposante taille d’une dame énorme, rigolarde, qui l’interpelle en taki taki et qui lui dépose un bébé dans les bras. Il le prend, lui sourit et le bébé, qui parait habitué aux bras étrangers, sourit aussi.

Kenny démarre le moteur. Le Takariste appuie sur son grand bâton pour aider le bateau à glisser le long des autres embarcations. Il restera à l’avant tout le trajet, toujours accroupi, scrutant les fonds, annonçant d’un geste au piroguier où sont les passages dans les sauts. Souvent il se dressera d’un bond pour draguer le fond de son bois et jauger la profondeur.

La pirogue s’éloigne de Saint Laurent et le bébé suce la joue d’Hervé qui s’en amuse. Elle traverse jusqu’à l’autre rive. C’est Albina. Le Suriname. Un autre pays sur la rive d’en face.

Une rangée de magasins tenus de la main la plus ferme qui soit par les commerçants chinois. La pirogue s’amarre au béton et se vide d’un coup. Les prix sont très bas et chacun fait le plein de produits de supermarché pour sa famille.

Kenny débâche et fait un deuxième chargement. Il y a encore de la place malgré la pile qui s’élève à plus d’un mètre de hauteur. On y entrepose des matériaux de construction et des produits commandées par des particuliers ou des entreprises. La pirogue s’enfonce encore un peu plus dans l’eau.

Hervé est le seul passager à être resté, personne n’a réclamé le bébé.

La température monte, il est 8h30 et le soleil démarre son travail de sape. Les passagers reviennent en parlant fort; Hervé veut rendre le bébé à la femme énorme mais ce n’est pas le sien. On cherche alors la maman. Il y a 25 personnes entassées et cela prend du temps.

Entre le moteur et le piroguier se trouvent plusieurs frigos à l’intérieur desquels sont disposés les denrées perissables. De derrière l’un d’entre eux se dresse une très jeune femme qui s’y était visiblement endormie. C’est la maman et sans un signe d’inquiétude ni un remerciement elle prend le bébé dans les bras d’Hervé.

La pirogue semble ramper sur l’eau avec difficulté, slalome péniblement entre les nombreux bateaux qui traversent en permanence d’une rive à l’autre, puis elle s’éloigne vers le haut du fleuve. Le voyage démarre...

 



14/03/2019
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