Fabrice Raspati Auteur

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Marta / Lancha Manaus-Tabatinga/ Brésil

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A l’entrée du restaurant Marta joue son rôle de vigile. Droite, le regard vide, concentrée. Elle compte. Il y a 60 places assises, alors elle fait rentrer 20 personnes à la fois, pas plus. Et quand 20 sont passés elle ferme la porte coulissante avec autorité. Dehors la file peut atteindre 300 personnes. Et 300 humains qui ont faim c’est comme des loups enragés. Alors elle surveille et ne laisse rien passer.

Marta travaille sur une lancha, ces gros bateaux à étages qui remontent les fleuves du nord du Brésil. Marta est multitâches. Elle vérifie l’identité et les tickets des passagers au départ.

Sur l’Esmeralda qui fait la liaison Manaus - Tabatinga il y a  600 places. Quelques rares cabines et essentiellement des hamacs sur les ponts, enchevêtrés les uns dans les autres comme des lianes à un tronc.

Marta gère aussi les problèmes entre les employés du bateau et s’occupe du bon déroulement des repas dans la salle à manger. C’est un milieu d’hommes. Alors elle roule des épaules, regarde dans les yeux et parle sec. Pour ordonner, pas pour laisser le choix. Elle travaille 14 jours d’affilée. 14 jours sans voir ses enfants et son mari. Des fois son masque de gravité se fissure quand elle repère un enfant dont le regard la touche. Beaucoup de Vénézuéliens échappés de leur pays voyagent sur l’Esmeralda. Elle sait qu’on les retrouvera dans une grande ville du Brésil, du Pérou ou de Colombie où ils chercheront un soleil qui n’a pas la même couleur de sang que chez eux.

Dans ces moments Marta sourît brutalement et tend sa grosse main épaisse pour leur fourrer dans la poche un dessert ou un fruit. Elle se dit, toujours en souriant, que la main on ne doit pas leur tendre souvent. Puis elle reprend son rictus de chef de cantine.

Une fois le service du soir terminé, Marta grimpe sur le pont où la vue sur les rives de l’amazone est sans limites. 

Ce soir il y a un couple qui discute appuyé contre la rambarde. L’homme, bedonnant, passe une main lascive dans le dos d’une jeune femme qui minaude. Ses fesses sont rondes et très belles. Marta se dit qu’un beau cul peut ainsi très facilement être défiguré par la bêtise.

Au bar une mauvaise musique retentit à un volume assourdissant. Devant des chaises blanches et vides un homme d’une soixantaine d’années danse mollement à quelques encablures des enceintes.

Marta se détourne et fixe le ciel immense de l’amazone. Un soleil s’affaisse lentement dans l’eau. Il jouxte des nuages noirâtres et une barrière d’eau qu’on aperçoit au loin et vers laquelle le bateau se dirige d’une lenteur sereine.

Marta trouve étonnant qu’il y ait dans ce ciel assez de place pour ces trois paysages qui se touchent comme trois tableaux mis côte à côte. L’orage arrive. Il lavera toutes les tristesses et toutes les humeurs.

 



03/05/2019
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