Fabrice Raspati Auteur

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Herman / Villa de Leyva / Colombie

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Herman appuie son dos contre le tronc de l'arbre. C'est un chêne trois fois centenaire. Certaines de ses racines baignent dans la rivière, s'enroulent autour des pierres polies par l'eau. D'autres ont creusé la terre jusqu'à son centre. Probablement qu'elles rejoignent par d'improbables souterrains l'autre chêne, plus grand encore, au milieu du terrain. On les dirait jumeaux. Des carreaux d'écorce aux formes régulières cerclent leurs troncs. Épais comme deux mains ils s'agrippent à la peau, aux vêtements et Herman sent des forces qui le vissent à la matière. Le dedans du chêne ronronne comme un ventre de chat géant. Herman se recharge.

Il était fatigué. La ville, le monde, l'agitation le détournent. Les conversations, les conventions, les échanges faciles, le bla-bla rassurant de la société humaine lui plaisent, mais quand il en sort sa couenne est molle et son esprit tendu.

Sur le marché de Villa de Leyva Herman vend du pain. Un pain dense et craquant, mélange de chia et de quinoa. Un pain qu'il a mis longtemps à façonner. Beaucoup d'essais pour parvenir à la texture qu'il avait en bouche. Du temps à pétrir, à sentir la farine se liquéfier, s'assembler, se lier, s'aérer, se serrer. Jusqu'au moment où on ne peut plus rien y ajouter.

Du temps encore à surveiller, penché au-dessus du four à bois la température, puis tourner les miches, attendre que le doré envahisse la surface, rajouter des bûches, cligner des yeux face à la puissance des braises. S'assoir enfin devant une armée de pains fumants. Allumer une cigarette, sourire aux lèvres.

 

Le son du four qui claque en refroidissant, le grésillement de la cigarette qui se consume...

 

Herman appuie sa tête contre l'arbre; un rayon de soleil vient chauffer son crâne dégarni. Il observe ce qui est désormais son terrain. L'entrée se fera ici à côté du grand chêne. Le sentier déjà tracé par la nature amène jusqu'au deuxième grand arbre. D'un côté il y aura un théâtre en plein air. De l'autre un sauna en bois et une surface plane pour méditer face à la faille entre deux blocs rocheux qui emmène jusqu'à l'Iguaque; L'Iguaque c'est la montagne sacrée des muiscas, le peuple racine décimé par la conquête espagnole. Aujourd'hui elle trône sous un bleu pur. Là-haut, à presque 4000m, le temps change en un souffle de ciel et les nuages s'installent en quelques maigres secondes. Derrière le gris des pierres vit un lac où naquit le premier homme de l'humanité. Herman sourit encore en pensant à ses voyages sur les continents. Partout des légendes de création du monde. Partout le même besoin d'expliquer sa présence par la croyance.

Herman se demande pourquoi la croyance de cette terre l'a retenue plus qu'une autre.

Sûrement la poussière de son père qui vit dans le dessous.

Ici, attaché au sol, Herman est libre.



05/03/2020
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