Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Iliana / Granada / Nicaragua

20190728_093030_Burst01.jpg

 

 

Assise contre le pare-chocs du bus qui va de Granada à Massaya Iliana envoie des messages sur son téléphone. Moulée dans son jean ultra serré et dans son haut rose, elle sourit des échanges avec son fiancé. Elle est brune, les cheveux attachés très serrés et son visage c’est un sourire entouré de deux fossettes encore enfantines.

Le chauffeur passe à côté d’elle et met une claque sur sa cuisse sans s’arrêter. Elle bondit, range son téléphone dans la poche arrière de son pantalon. Elle essuie quelques tâches de saleté avec un chiffon sur la tôle jaune pétaradante du Chevrolet. Le bus démarre dans 10 minutes. Ses sourcils se froncent et elle crie.

"Massaya ! Massaya  !"

Elle avance au milieu du terre plein pour aider une femme qui marche avec un immense carton dans les bras. Elle le lui prend sans peine, le charge sur son épaule, et, le tenant d’une seule main, se hisse par l’échelle sur le toit du bus. Tout en le sanglant elle crie à nouveau.

« Massaya ! Massaya ! »

Son boulot de "cobrador" c’est que le bus soit plein. C’est aussi de se tenir sur le marchepieds pendant que le bus roule et hurler pour faire monter ceux qui hésitent. C’est enfin sauter sur la route, courir pour ranger les bagages, montrer où s’asseoir.

Parler avec les gens elle aime ça Iliana. Son visage s’ouvre et la beauté de ses 22 ans irradie. Ensuite elle réinvestit son masque de dureté masculine qui la protège. Peu de femme font ce travail. Parce qu’il faut bander ses muscles et regarder dans les yeux quand c’est le moment de faire payer.

Elle avance entre les sièges, un paquet de billets coincé entre les doigts de sa main gauche pour que ne pas que le vent du trajet les emporte. Elle annonce le prix, prend l’argent de la main droite, le range habilement dans son tas, rend la monnaie de sa main libre. A chaque arrêt elle s’interrompt pour courir jusqu’à la plateforme et haranguer les piétons. «Massaya ! Massaya ! »

Sa voix est rauque et directe. Sans faille. 

Iliana n’a pas de contrat de travail. Si le bus n’est pas assez plein Don Carlos, le propriétaire peut lui dire qu’il a trouvé quelqu’un d’autre. Et ne pas la payer. C’est courant. Surtout que c’est une femme.

Des fois on la bouscule ou on la toise dans le bus pour ne pas payer. Mais Iliana n’a pas peur. Elle baisse la tête, vérifie que son téléphone est bien calé et elle affronte le récalcitrant. Jusqu’à ce que l’autre comprenne qu’elle ne cédera rien.

Aujourd’hui tout va bien, le chauffeur c’est Danny. Il conduit vite, aime la musique forte, est correct avec elle et ne vole pas le patron comme d’autres.

Alors Iliana va avec plaisir du marche pieds au toit, des sièges à l'avant du bus, s’autorisant à sourire plus que d’habitude. Elle esquisse un petit pas de danse juste pour elle. Personne ne remarque cet assaut de féminité. Aujourd'hui elle sera plus tôt chez elle. La vie est un sourire de jeune femme.

 

 



11/08/2019
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 63 autres membres