Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

L'amour est un appel d'air chapitre 3

ANTIBES

 

 

Quelques semaines plus tard, il m’avait laissé un message :

« …Louis ! Plage…»

 

Il était sur la berge, il vérifiait que la mer ne bougeait pas. Bien que sa formation scientifique se limitait à la lecture de Nice Matin, il était persuadé de prévoir les tremblements de terre uniquement en observant les mouvements de l'eau.

 

Lorsqu'on lui faisait une réflexion, il se contentait de nous rappeler que son père travaillait dans le nucléaire, expression mystérieuse qui à ses yeux révélait à quel point l'héritage génétique avait été fort.

 

C'était là sa principale occupation et préoccupation depuis 10 ans. Un être étrange ce Louis, une espèce de mystique involontaire.

 

J'étais derrière lui. Il pleurait, des larmes glissaient sur ses joues, certaines restaient bloquées contre ses boutons, d’autres dans les cratères de sa peau, d’autres encore hésitaient face à telle ou telle aspérité. Je faisais des paris sur la première qui parviendrait à franchir la ligne d’arrivée.

 

Quand il m'aperçut il se jeta sur mois et s'écroula contre mon épaule.

" elle est pa-pa-pa… " geignit-il.

" partouze ? " essayais-je.

" partie connard ! " trancha t'il.

 

Brusquement, il se détacha de ma main qui lui tapotait amicalement le dos et partit droit dans l'eau jusqu’à mi cuisses, où il se mit à barboter dans la lumière diaphane de ce début d'automne.

 

Ca me rappelait un documentaire animalier sur la toilette des hippopotames.

 

« Louis putain, on est en octobre… »

« … »

« Louis, tu m’écoutes ? »

« Tu vois la mouette là bas ? Les mouettes c’est bizarre, on croit que ce sont des gentils oiseaux des mers, on pense à Jonathan le Goéland, mais c’est des féroces ! L’autre jour, y en avait une qui bouffait un rat, t’imagines ça ? On aurait dit une poule qui picorait, tranquille ; elle avait la gueule dans ses tripes, et elle se servait, juste parce qu’elle avait les crocs. Au lieu d’aller picorer des graines peinarde, hé ben non elle lui bouffait le ventre ! Et tu vas pas le croire, mais il était vivant le rat, il voulait se barrer, alors il rampait sur le dos le bide à l’air avec des bouts de bidoche qui pendouillaient et l’autre salope, elle le suivait comme s’il n’existait pas vraiment, comme s’il était un morceau de viande... Et comme ça bougeait, alors il fallait qu’elle le suive pour assouvir sa faim !... »

« Louis, tu vas attraper la mort, on se gèle la ! »

« Hé ben dis toi une chose, Mercé, avec moi elle a fait comme le gabian, elle m’a ouvert le ventre et elle a bouffé l’intérieur, et puis elle s’est tirée avec des morceaux de moi dans la gueule. Alors, je suis toujours vivant mais il me manque un morceau… »

«  Ca fait un moment qu’il te manque un morceau…Sors de l’eau Louis !! »

« …hé bien je savais pas que j’avais ce genre de morceaux à l’intérieur, le genre de morceaux qui font mal si une fille les mange ! Alors je souffre comme un con, à peu près autant que le jour où mon père est mort, et en même temps je me sens, comment dire, joyeux, ouais c’est ça joyeux, et ça c’est nouveau pour moi, je comprends pas ce qui m’arrive. Tu sais toi ? J’ai un morceau en moins et un morceau en plus ! »

« Louis, sors y’a du vent, ça se lève ! »

 

 

On avait glissé vers la vieille ville, rue Thuret, sur la terrasse de Rachid.

 

Une mouette diarrhéique venait de déposer sa livraison aérienne sur le carrelage de terre cuite, mais personne n'avait envie de se lever. C'était l'apéro.

 

Dans le sud, certains appartements disposent de toitures-terrasses. On y est suspendu au dessus du bruit urbain, en lévitation sur la vie d'en bas.

 

Rachid avait acheté les anciens combles d'à côté, les avaient aménagés en studio et se servait de la terrasse qui était censée appartenir à tout le monde.

 

Rachid dépassait le mètre 95; sa tête, toujours rasée, était décorée d'une balafre qui lui donnait un air de légionnaire à la retraite. Mais c'était juste une boule de pétanque qui lui avait fendu le crâne alors qu'il découvrait les joies de l'amour derrière un buisson pendant un concours.

 

Depuis, il n'y jouait plus et était resté célibataire. Rachid, son mètre 95, son crâne à fermeture éclair, son nez en forme de bec de vautour fauve. Autant dire que la terrasse était à lui; enfin, aucune contestation sérieuse n'avait été relevée à ce jour.

 

Rachid et moi on était affalés dans les transats, du soleil plein la gueule . On comptait les avions, on buvait de la bière et du rosé, on engueulait les pigeons bruyants. Ca allait pas trop mal.

 

Louis est entré sur la terrasse comme un boulet, nous avions l'habitude c'en était un !

 

Dans sa main droite, un sac de voyage; dans sa main gauche, une carte postale. Il me tendit la gauche.

 

Ca venait d'Espagne, elle l’embrassait, s'installait avec un musicien Andalou qui ressemblait à s'y tromper à un très célèbre guitariste de flamenco .

 

Louis m'arracha de mes pensées, aussi délicatement qu'une pelleteuse l'aurait fait avec un tas de pierres.

 

" On se casse ducon !!! " hurla t'il .

" Louis, putain , on est bien là ; il y a encore au moins une heure de soleil ! "

" On se casse ducon, on va la chercher !"

" Et quand on l'a trouvé on fait quoi...on la viole, elle accouche et on vit tous les 3 ensemble avec l'autre crétin qui joue de la guitare dans le fond ? "

" J'ai besoin de la voir ! "

" Allez assied toi, prends une bière, avale toi deux trois pistaches et laisse courir "

" NON je ne peux pas " éructa t'il.

 

Il avait sorti de son sac sa casquette kaki, celle qu'il mettait quand on changeait de département pour aller se baigner à la rivière,  la casquette des voyages !

 

C'est sa détermination qui me décida. Avait il besoin de moi ? Bien sûr, il ne supportait pas le train et n'avait pas son permis !

 

 

Quand on est arrivé à Barcelone, après 6 heures de route et que j'ai compris qu'on en était au tiers du chemin, j'ai su que c'était une aberration. Quand 20 heures plus tard, on a découvert les plaines sableuses du fond de l'Andalousie et qu'un soleil rouge flamboyant crevait le ciel du petit matin, je m'en foutais complètement, c'était juste beau !

 

Huit heures du matin. Tarifa. Le village est tout blanc. Littéralement accroché au ciel bleu. Tellement soudé à la mer. Du bleu et du blanc partout. La lumière est bleutée, les flics sont bleus, du bleu partout.

 

J'ai commencé à écrire ces mots, je ne sais pas pourquoi !

 

Enfin si, c'est parce que je n'ai pas eu le choix. Une nécessité viscérale.

 

S'asseoir, écrire, regarder mon stylo dessiner. Perdre du poids dans la lourdeur des mots. Et puis j'ai réalisé que je ne voulais faire que ça, raconter des histoires. Me raconter des histoires, puisque j'étais mon seul lecteur.

 

Voilà, c'est que comme ça que je me suis mis à écrire notre épopée ridicule. A cause de la lumière.

 

 

À suivre...



13/04/2024
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