Fabrice Raspati Auteur

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L'amour est un appel d'air / Chapitre 1

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J'habite une petite maison posée sur une restanque avec quelques oliviers autour, en plein milieu de la zone industrielle. Des oliviers centenaires qui envoient des grimaces aux hangars qui semblent les surveiller.

 

J'habite en plein cœur de la civilisation, mais le soir c'est calme. Seul le pas des vigiles et les aboiements de leurs chiens claquent dans le silence métallique des nuits.

 

Je suis traducteur d’Espagnol commercial, une profession qui ne m'intéresse pas, mais qui me laisse travailler chez moi. Libre de mes heures.

 

Quatre fois par semaine, je descends dans le vieil Antibes voir la mer et les potes. Nous sommes de vrais méditerranéens. Pas un d'entre nous n'a un nom de famille qui a la même sonorité ou une couleur de peau identique, et chacun est plus fainéant que l'autre.

 

Louis est de loin le pire d'entre nous. On se connaissait depuis 20 ans et je ne l'avais jamais vu travailler. Très tôt, il avait décidé de ne rien faire et dépensait beaucoup d'énergie pour y parvenir.

 

La seule tâche qui lui incombait était, chaque mois, d'aller chercher la pension de son père mort d'une crise cardiaque, le lendemain de sa retraite; après 40 ans de bons et loyaux services auprès du commissariat à l'énergie atomique.

 

Louis était persuadé que son père était mort à cause du nucléaire !

 

Il conciliait ainsi avec brio convictions écologiques et mollesse pathologique. Sincèrement convaincu que toucher illégalement sa retraite était un hommage magnifique rendu à son paternel, qui continuait de vivre à travers l'argent que la chair de sa chair dépensait.

 

Je ruminais face à la mer, je me plaignais de notre solitude à tous, de notre incapacité.

 

Louis m'écoutait pérorer en hochant la tête pensivement. Louis et ses mains sur les hanches. Louis, son crâne dégarni. Louis et ses poils noirâtres d'orang-outang. Louis ventripotent, Louis se tripotant le ventre.

 

Pour lui être amoureux, c’était être prisonnier, ça le dépassait. Lui, il était raisonnable, il avait fait une croix dessus.

 

L'été tirait sa révérence, les couleurs se faisaient moins vives, plus fondues. Les montagnes se dessinaient derrière la mer. L'eau, la terre, le ciel...

 

On se retrouvait souvent sur cette plage, accompagnés de bières, de cigarettes et des bruits de Louis, qui ne s'exprimait souvent que par borborygmes. Louis était haineux et glauque, mais c'était notre ami, on ne pouvait rien contre.

 

C'est un soir après la plage qu'on s'était rencontrés avec Mercé. Enfin, on s'était plutôt entrechoqués, électrisés. Mercé, c’était juste une histoire d'allure. Je ne parle pas d'un sourire ou d'une belle paire de fesses, non, mais de cet air qu'elle avait. Une manière de marcher, une grâce à vivre.

 

J'avais souvent dû sortir les rames pour draguer. Cette fois, je ne m'étais occupé de rien.

 

On avait pas mal bu. Moi, parce que je ne croyais pas à cette fille, avec des cheveux longs, bouclés, noirs, et cette peau mate léchée par le soleil d'Andalousie.

 

Quand elle s'était approchée de moi, elle riait; j'avais regardé derrière, persuadé qu’elle s’adressait à quelqu’un d’autre, mais il n'y avait que le mur. Le temps de me retourner, elle était assise face à moi.

 

Elle buvait et ses joues perdaient de leur couleur gênée, elle répétait " tus ojos, tus ojos ". Elle m'avait assuré que j'avais le même regard qu'un écrivain Américain qu'elle adorait !

 

Quand elle avait pris ma main, mon cœur a voulu sortir de mes poumons; quand elle avait pris mon sexe à pleines mains à travers mon pantalon un peu plus tard, c'est ce qu'il fît. Après, je me rappelle parfaitement de tous les détails, mais je préfère les garder pour moi. J'ai l'impression qu'elle m'échappe quand je raconte.

 

10 jours chez moi, d'odeurs d'elle. Le répondeur débordait de messages, plus d'une semaine sans aller voir la mer, ils s'inquiétaient tous ; ça rajoutait à mon bonheur !

 

Malheureusement, il a fallu qu'on sorte. Je ressens souvent ça avec le bonheur, c'est une matière peu fiable. Je me roule volontiers dedans, tout en me demandant à quel moment les choses sérieuses vont reprendre le dessus.

 

« Le bonheur c'est un accident de parcours dans la dépression de la vie » dit souvent Louis.

 

Ca faisait des années que je prenais ce qui venait, que ça durait un ou deux mois et que ça retombait sagement, comme un soufflé qui s’affaisse au ralenti.

 

J’étais un professionnel de la non action : comment ne laisser aucune chance à une histoire sans fâcher personne était ma devise.

 

Mais, elle, me faisait vibrer; un feu follet dans le vernis de mes habitudes !

 

Ce jour là, la main de Mercé était parfaitement ancrée dans la mienne et nous descendions la rue principale de la vieille ville.

 

Louis était à la terrasse d'un café devant le jardin d’enfants de la poste, avachi dans une chaise en fer, en train de se badigeonner de crème solaire. Je l'avais présenté à Mercé. Sa main s’était ramollie dans ma paume, comme si toute la vie qu’elle contenait disparaissait progressivement. L’expression de son visage s’était pétrifiée, pour se muer en un je ne sais quoi d’admiratif !

 

" Qu'est ce qu'elle veut la petite Syrienne ? " avait demandé Louis.

 

C'était la première fois que je voyais une fille dévisager Louis aussi longtemps. J’avais beau donner des petits mouvements de poignet secs pour la sortir de sa léthargie, rien n’y faisait. Je l’avais tirée brusquement, avait balancé quelques civilités d'au revoir à Louis, et nous avais arraché de ce mauvais film !

 

Une semaine après, elle partait avec lui ! Il était, parait-il, la photocopie humaine d'un des plus grands toreros vivants d'Andalousie.

 

Elle m’avait annoncé ça très naturellement, comme si elle partait faire des courses. Il avait une grasse féline. Putain, est ce qu'elle l'avait déjà vu manger ?!! Elle m'avait claqué la porte au nez.

 

A suivre...



09/04/2024
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