Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

L'amour est un appel d'air chapitre 4

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La pluie frappait les toits. Une pluie lourde, qui pénétrait profondément, qui glaçait le sol. De la fumée s'en échappait. Un soleil gicla des nuages, des hallebardes qui traversaient l'air fumant.

 

En fin de journée, le ciel rosit et un bleu nuit finit par se mélanger à ce rose mal assuré, palot, qui s'y laissa dissoudre. 8 heures extinction des feux célestes.

 

J'ai insisté sur la lumière je sais. C'est parce que la regarder est tout ce que nous avons fait pendant une semaine.

 

C'était la toute fin de la saison. Les locaux étaient plutôt contents de trouver des touristes ; on a eu droit à la plus belle maison du village. Avec une terrasse face à la mer. Devant ou derrière la baie vitrée selon la température, nous parlions peu, j'écrivais, et Louis souriait.

 

Ca m'étonnait, mais il passait sa journée à sourire.

 

Une semaine hors le temps, ponctuée de « ho ! » et de « ha ! » quand le soleil nous offrait un spectacle digne de sa réputation. Nos gestes étaient lents, nos cerveaux calmes. Nous ne pensions plus, nous étions.

 

Et puis, Louis a lu un bouquin de Raymond Chandler qui traînait dans le salon, et s'est réveillé le matin suivant en se prenant pour Philip Marlowe.

 

Ce matin-là, il prit son borsalino et le bus pour Algésiras et commença son enquête.

 

Ce soir-là, il rentra avec une photo de ce torero auquel il était censé ressembler. Je parvins à ne pas rire en feignant de m'étouffer avec un morceau de chorizo.

 

" Louis , je ne te dis pas que c'est une mauvaise idée; mais 15 000 Euros c'est un peu exagéré ! "

" Et tu crois que les 30 dernières années passées sans baiser c'est pas un peu exagéré ?" me demanda t'il.

" Enfin 15 000 Euros c'est cher la passe non ? "

" Attends! Un type normal, pas un cador hein, mais un type normal, il a quoi, 2 rapports par semaine ? D'accord ? Bon, il commence, mettons à 18 ans, donc à 31 ans j'aurai du avoir 1248 rapports. J'en suis à 48. Ce qui veut dire 1200 coups de retard. Si je devais payer, en se basant sur le tarif syndical minimal d'une pute, ça me coûterait 48 000 Euros . Je gagne donc 33 000 Euros pour quelqu'un que j'aime et puis normalement après c'est gratuit pour toute la vie non ? "

" Considère que je n'ai pas parlé! "

 

C'est ce qu'il fit. Il me montra SA photo en 1ère page d'El Pais, une photo couleur, un arc-en-ciel.

 

La même que celle du torero qui lui ressemblait, sauf que le type dans le costume jaune-paillettes c'était lui.

 

Le haut trop court s'arrêtait au-dessus du nombril, un gros ballon poilu apparaissait donc et conférait à la silhouette un esthétisme surréaliste. Il avait conservé sa casquette à la place de la coiffe traditionnelle.

 

Son visage était pourpre de contentement, sa fierté augmentait sa cambrure. En surimpression apparaissaient en lettres roses - te quiero Mercé !- avec le téléphone de la pension !

 

Comment avait-il pu s'offrir, pour à peine 15 000 Euros, une publicité en première page du plus grand quotidien national ?

 

Sa photo frimait sur cette première page, elle narguait les gros titres, concurrençait une augmentation du dow jones et un assassinat de l'ETA.

 

On était samedi, le plus gros tirage ! Rien de perdu en fait.

 

Chaque jour, Louis partait pour Algésiras en costume de torero. Mercé ne pouvait ignorer qu'il la cherchait disait-il.

 

Les appels affluaient et les propriétaires nous hélaient pour que l'on vienne répondre. Louis sautait les escaliers, volait planait jusqu'à l'appareil.

 

Un cabaret lui proposait des représentations. Des nationalistes basques voulaient qu'ils deviennent leur porte-parole.

 

Mais pas de Mercé !

 

Moi, je me complaisais dans la luxure. Le patron de la pension, quand il ne frappait pas sa femme à pleines volées, s'agitait à servir en bas.

 

Sa femme, elle, agitait son croupion les mains posées sur la rambarde de la fenêtre tandis que je la besognais.

 

Sa cellulite s'en allait à vau-l'eau de part et d'autre de ses hanches. Elle mordait une serviette tout en surveillant son mari par les interstices des volets. L'affaire terminée, elle récupérait sa culotte, et oubliait dans l'appartement une odeur de poisson frit.

 

Le reste du temps j'écrivais. Cette histoire, d'autres. Comme si j'avais eu dans la tête une bibliothèque fermée depuis des années, qui avait emmagasinée des milliers de visages, de vies, de couleurs.

 

Je pensais à Antibes, les ruelles d'ici lui ressemblaient. J'avais l'impression de m'être enfin mis au travail en m'éloignant de ma Ville.

 

Tout sortait avec une facilité déconcertante, impossible de s'arrêter. Je refusais de m'arrêter. Pouvait-on vivre toute une existence comme celle-là, en conteur de la vie des autres ?

 

La sonnerie du téléphone me fit l'effet de celle de fin de récréation, celle qui balaie les rêves pour ramener les gosses dans le sérieux des salles de classe.

 

La voix était charmeuse et charmante, c’était pour Louis. Quelques instants plus tard, il m’annonça un rendez-vous pour le lendemain en refusant d’en dire plus. Avec un certain José Maria Aznar…

 

                  ~~~~~~~~~~~~~~

 

Le lendemain soir, la lune était pleine. Un type à cheval se dessinait en son milieu, troublant un peu sa clarté parfaite.

 

Je me suis dis plus tard que ce qui s'était passé cette nuit-là devait tenir à la pleine lune. J'ai toujours besoin de trouver des raisons aux choses, même si elles sont irrationnelles. Le vide m'exaspère.

 

José Maria Aznar se tenait debout, sous le porche d'entrée de sa baraque. C'était un homme immense et énorme: tout en lui sentait la démesure. Il ressemblait à un de ces membres d'une confrérie de buveurs de vin. Une toge magenta, un tricorne doré, des gants blancs de gendarme et des yeux graves qui cherchaient à en imposer.

 

Lorsque nous fûmes devant lui, il me tendit sa main, une main grasse, boudinée, baguée, habituée à la servilité.

 

Il attendit sa révérence pendant quelques secondes, trépignant pendant que nous nous toisions. Je le déçus, en ne le gratifiant que d’un très bref « Hola ! ».

 

Il donna à Louis une accolade de reconnaissance respectueuse, qui parut trouver cela naturel.

 

La lune écarta un nuage et se mit à frapper la terre aride de tout son éclat, illuminant le fou d'un flash. Il se mit à déclamer dans un français parfait :

 

" Je m'appelle José Maria Aznar. Je dirige une petite secte familiale que j'ai fondée et baptisée -la confrérie des chevaliers célestes- Je la dirige depuis 20 ans. Oh bien sûr, je ne prétends que ce soit une entreprise aussi lucrative que la scientologie, mais je m'en suis bien sorti !

20 ans de travail acharné à courir le disciple, à développer une politique publicitaire de qualité, 20 ans pour devenir une solide société qui emploie 10 personnes et participe à la vie de l’économie locale. Mais passons sur l'aspect financier…"

 

Il reprit son souffle et la lune se voila à nouveau.

 

" En vérité je baisse. Mercé, une âme perdue dans ses propres tourments, comme dans votre vie à vous, est venue ici semer le chaos. Avec son compagnon, un guitariste médiocre, elle est restée quelques temps et s'est enfuie, emportant avec elle des amis de longue date...Ma dernière cérémonie a tourné au fiasco. Je me sens usé ! Prêcher, convertir, faire prendre conscience au monde des dangers que personne, et je dis bien personne, ne peut voir sans éveil de la conscience est un sacerdoce épuisant.

J’ai besoin de quelqu’un pour prendre la relève, poursuivre ce combat dont j'ai déjà parlé à Louis, ce combat contre les Lémuriens issues du nucléaire, ces monstres qui rampent dans l’ombre et dans la poussière de cette terre pour prendre le pouvoir, ces monstres qui attendent le moindre relâchement de mes chevaliers…"

 

Il marqua une pause, dans un soupir théâtral.

 

" Louis, tu sais désormais comment procéder. J'ai su que le moment était arrivé quand je t'ai vu sur le journal. J'ai su que tu étais né dans ce seul but, me remplacer.

Ne t'inquiète pas, la transition sera douce. Tu as beau avoir un charisme quasi hypnotique, tu auras besoin de mon aide. Mon œuvre ne s'éteindra pas avec moi, je me survivrai. Bien, nous allons entrer et je vais vous servir une coupe de la boisson sacrée des chevaliers célestes "

 

Louis suivit son désormais père spirituel à l'intérieur. La puissance de la lune me fit fermer les yeux.

 

Un vertige m'attaqua alors que j'avais besoin de toute ma lucidité. Je basculais vers la porte.

 

Ils étaient assis tous les deux et sirotaient un coca, réglant les derniers détails. Je m’écroulais sur une grande peau de tigre, ils me jetèrent un coup d'œil furtif et agacé.

 

" C’est ça la boisson sacrée des chevaliers célestes ? Je pourrais pas avoir une boisson moins sacrée? Une bière ? "

" Non, j'ai un contrat avec coca. Et puis personne ne boit d'alcool ici, il faudra vous habituer "

 

Ils reprirent leur conciliabule, m'ignorant. Je promets avoir essayé d'intervenir, mais à chaque fois le gros me fixait comme un disciple récalcitrant. Et Louis prenait une moue sévère. Que pouvais je rajouter ?

 

Mais dès que nous sortîmes je bondis :

"Bon Louis, on s'est bien marrés, mais maintenant on rentre à la maison ! "

" Absolument, on rentre, on va chercher nos affaires et on revient s'installer ici. "

" Quoi ! ! ! 

"On s'installe ici. Tu veux un coca ? "

 

À suivre...



18/04/2024
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