Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Eric / Vol Mexico - Paris / Mexique

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Dans l'avion qui décolle de Mexico pour Paris, mon voisin pleure sans bruit. Sa compagne, dont le dos brille des dernières lueurs de la ville, est déjà réfugiée dans le sommeil. Lui, semble perdu. Je le questionne, il me sourit, un peu gêné de ses yeux humides. Et puis, comme un tube de dentifrice sur lequel on appuie et qui se vide d'un jet, il entame un long monologue. Il n'est pas sûr, dit-il, de réussir le reste de sa vie ! Professeur de droit à l'université Paris 1, il a démissionné brutalement il y a un an. Il ne supportait plus d'inculquer les vertus de l'élection dans un pays où 2/3 des gens s'abstiennent ! Avait l'intuition d'enseigner du vide dans le but de faire tourner une machinerie devenue folle ! Depuis, il a traversé 11 pays d'Amérique centrale et du sud pour découvrir comment on décide ensemble ailleurs. Il a observé des discussions de groupes dans une société matriarcale, interviewé des Mamos héritiers de système de prise de décision vieux de 4000 ans ! Assisté aux travaux d'une association de 6000 membres qui décide sans chef, pris des milliers de pages de notes, relu des livres oubliés, reconfiguré son propre disque dur interne. Sa logorrhée s'intensifie. Il s'emballe. Et surtout, rajoute t-il en riant, sa dépression s'est enrichie d'une nouvelle donnée: la vigueur !

"Bien incapable de la définir je repars néanmoins chargée d'elle".

Il l'a vue dans les corps bondissants, dans cette façon d'entrer dans l'air, dans l'exubérance de la parole, dans la viande qu'on déchire à pleines dents dans les asados, dans les regards noirs et pénétrants des gens en lutte. Elle est partout. Il ne saurait dire si elle vient du soleil, de la pluie chaude, de la complexité politique, de la mort qui surgit plus violemment qu'ailleurs, de la danse, des entrailles d'une terre qui tremble facilement, des ouragans, des odeurs puissantes de la nature, de la nourriture...Mais là-bas dit-il avec une immense nostalgie, tout est plus ! Plus chaud, plus immédiat, plus maintenant, plus tonitruant. Tout est sans filtres, à découvert ! La pauvreté, la richesse, la violence. Rien ne se cache. Eric sait qu'il ne sera jamais un latino. Si il l'était il boirait cul sec le stock d'alcool de l'avion. Mais il ne pleurerait pas sans bruit. Eric pense que cette vigueur est dans le mouvement. Dans le premier pas. Avant c'est l'inertie, la léthargie. Le mouvement amène la nouveauté et les choses se mettent en marche, s'assemblent. Il ne veut plus critiquer. Critiquer c'est nourrir le système. C'est reconnaître son existence, sa puissance. Proposer à partir de soi c'est créer son propre monde. Quelque soit sa taille. Beaucoup plus intéressant. Plus libre aussi. Il ne reviendra pas à l'université et veut désormais enseigner autrement: cours numériques, conférences de décryptages historiques, ateliers de prise de décisions à partir de ses apprentissages de voyage. Dans les entreprises, les lycées, les prisons. Eric est en ébullition ! Il ne doit pas se laisser emporter par les idées. Le monde d'après est dans l'acte !



31/12/2020
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