Fabrice Raspati Auteur

Fabrice Raspati Auteur

Don Patricio / Lorica - Cordoba / Colombie

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Quand Don Patricio rit le monde autour s'assouplit. C'est comme si les rouages de nos vies se huilaient.

Il aime conter. Avec lui l'histoire devient légende. Il conte l'histoire d'ASPROCIG, une association colombienne qui fête ses 25 ans !

Les débuts d'abord: des communautés de pêcheurs isolées les unes des autres dans des zones de marécages et de canaux, séparées par le fleuve Sinu et par des kilomètres de pistes de terre boueuse. Des communautés qui tissent des liens pour pallier l'absence de poissons due à la construction d'un barrage.

Ses yeux noircissent brièvement pour évoquer la lutte contre. Contre le système. Et la réponse du système.

Tuer.Très simplement.Tuer. Arrêter la vie. Tuer.

Il conte alors le repli sur soi qui s'ensuivit. Un repli utile, vital. Et la réponse du groupe qui guidera le reste: l'autonomie par la création dans son jardin de ce dont chacun a besoin pour nourrir et soigner sa famille.

Agir concrètement plutôt que d'attendre une aide qui ne viendra jamais. Se mettre en oeuvre. Il raconte petit à petit des gens simplement heureux de faire au lieu de subir, des liens qui s'entremêlent, du plaisir à faire corps et le sentiment de puissance à se sentir autonomes et inter-dépendants.

Sa voix est désormais un moteur chaud, elle ronronne comme un chat au soleil. Il s'emballe et conte la saison sèche, la saison des pluies, l'absence de froid. Tout qui pousse facilement. Les grands arbres qui protègent de leur ombre les plantes fragiles, les poules qui donnent du fumier pour graisser la terre. Les bassins collectifs qu'on créé pour faire des élevages de poissons. Et tout qui se partage entre membres. Puis les surplus qui viennent vite et qu'on vend pour acheter ce qui manque. Des gens qui se redécouvrent, qui partagent des repas. Des voisins qui cessent d'être des concurrents ou des ennemis. Des violences familiales qui diminuent. Un sentiment d'appartenance qui renaît.

Après, face au nombre grandissant, le besoin de coordonner pour ne pas se sentir dispersés. A Lorica, la grande ville où il vit, se créé ASPROCIG, une association pour coordonner les différentes communautés entre elles, aider celles qui veulent s'y engager. Intervenir dans les écoles pour dire que la terre d'ici, la leur, la terre des indigènes Zénus, des métis, des Africains mâtinés de Colombiens, que cette terre contient tout et que chacun est elle. Qu'elle donne la conscience d'exister. Et le goût de continuer à pousser l'idée hors de chez soi.

Que si la multitude devient Un rien ne peut l'interrompre.

Don Patricio ne s'arrête jamais vraiment de parler. Il marque parfois des temps. Suspend sa voix pour un regard à son auditoire. Le temps que ses mots flottent jusqu'à nous. Puis gicle un rire, comme un fruit mur et sucré qui s'ouvrirait d'un coup. Et il conte à nouveau.

Cette histoire de 25 années au départ de laquelle il était. Cette "vida saborosa" (vie savoureuse) qu'ils se sont faites, seuls contre le vent ambiant et la marée du moment. Don Patricio accompagne ses camarades d'ASPROCIG partout dans le pays, de Bogota à Carthagène, pour raconter comment les 50 sont devenus 32 000 ! Lui même peine à le croire quand il dit 32 000 en riant encore et toujours ! Il dessine dans les airs de ses mains rapeuses de cultivateur l'organigramme complexe de la structure. Un organigramme inventé en action. Il ralentit le tempo pour dire le travail quotidien dont il s'agit. Un grand travail. Un travail dont on voit chaque jour le résultat et qui donne une place dans le monde. Pas un travail douloureux avec un salaire et une soumission à la consommation. Un travail libre.

Don Patricio a 78 ans.

Le poids des années est une caresse.

Il n'a peur de rien.

La vie est une promesse.



20/05/2020
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