Fabrice Raspati Auteur

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Christoph et Andrea / Sankt Georgen an der Gusen / Haute-Autriche

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Andrea et Christoph sont mari et femme et marchent main dans la main depuis longtemps déjà. Ils habitent un paisible pavillon à 20 km de Linz, la grande ville de haute Autriche. Côté route, une entrée sobre et une façade de béton blanc couverte d’un toit d’ardoises grises. De l’autre coté, une terrasse dallée de pierres de taille et un jardin rangé comme une chambre d'enfant sage. On trouve là un érable sycomore planté avant la naissance de leurs deux fils, un vinaigrier, un pommier, un poirier, des fleurs de toutes les couleurs, des herbes aromatiques, fraisiers, framboisiers, mûriers et un gazon parfait, tondu à heures fixes par un robot automatique. Au-delà, des champs labourés aux sillons profonds, des chemins de terre, des forêts de bouleaux, de frênes, de hêtres. Et le Gusen, une rivière aux eaux claires qui serpente entre les arbres. Après, c'est le Danube, le fleuve immuable qui traverse 10 pays d'Europe. Ici, à Sankt Georgen, à quelques centaines de mètres de leur maison, fut érigé un camp de concentration pendant l'occupation nazie. Devenu trop étroit, le Reich construisit Mathausen, 10 kilomètres plus loin. Derrière la maison de Christoph et Andrea il y a la gare de Sankt Georgen. La nuit, le bruit métallique des rails et des trains de marchandises qu'on entend est comme un rappel d'un son de terreur venu des limbes de la folie humaine.

Aujourd'hui Christof et Andrea sont d'une tristesse insondable. Un de leurs amis est mort brutalement d'un claquement de coeur. C'était leur voisin. Il laisse seuls une femme et deux enfants de 11 et 8 ans. Pendant 7 années, ils ont logé cette famille de réfugiés afghans. Ici, dans ce pays qui a la réputation de rejeter, ils ont aidé. Pour les papiers, pour apprendre la langue, pour envelopper de douceur. Leurs enfants ont grandi avec leurs enfants. Ils ont cuisiné ensemble. Andrea raconte les marches d'escaliers dévalées pour partager un plat ou s'inviter à un jeu dans le jardin. Quand les voisins se plaignaient d'une allure, d'une langue différente, Christoph et Andrea allaient à leur rencontre pour écouter, calmement. Et échanger. Convaincus qu'aider est normal. Qu'il faut accompagner l'autre au-delà des peurs. Christoph avec ses allures de prêtre. Les mains jointes posées sur ses lèvres, le regard dirigé vers le sol, dodelinant de la tête et écoutant profondément son interlocuteur. Prenant toujours un temps avant de répondre, comme s'il voulait peser le poids de chaque mot. Andrea, elle, avec sa volubilité. Avançant joyeusement, bousculant presque, agitant ses bras, avec des moues exagérées de commedia dell'arte. Mais toujours le bruit s'apaisait. Il suffisait finalement de parler et d'attendre.

Derrière la haie de leur jardin vit, caché, un nain de jardin en porcelaine. Il fait un doigt d'honneur de la main droite. Seul Christoph, Andrea et leurs enfants connaissent son existence. Il est un pied-de-nez facétieux à toutes les vilénies humaines. Il est leur façon de se rappeler que si la vie est sérieuse, rien ne dure toujours. Le pire est lui aussi un jour avalé par le temps. Tout renaît même sur des monceaux de chair putréfiés. Voilà, invisible de tous, leur rempart contre la laideur : un nain en porcelaine au majeur dressé.

 



15/03/2021
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