Fabrice Raspati Auteur

Clemens marche dans les allées détrempées du cimetière. Il sourit. Tout est prêt. Dans la salle, le piano à queue trône dans un rayon de lumière. Le violoncelle, vertical, en équilibre sur son support, fait face à des chaises vides. Clemens aide quelques-uns qui semblent chercher leur route. La pluie est drue et lourde. Elle poudre le sol, rebondit sur les vêtements, claque sur les toiles des parapluies et aveugle le chemin. Il y aura peut-être du retard, chose rare et peu appréciée en Autriche. Mais rien ne peut faire perdre sa bonne humeur à Clemens. Clemens est le responsable d'un des cimetières de Linz. Il vit ici, à côté des tombes, dans une bâtisse confortable. Chaque jour, pour rejoindre son bureau, il traverse les allées bordées de sépultures. Ensuite, sa journée débute : il gère les flux, organise l'entretien et la gestion des équipes, vante la qualité du service à ceux en quête d'une dernière demeure. Clemens est gourmand : de chocolat, de café, de discussions, de bon vins, de musique, d'amis. Il a un corps rondouillard et une démarche de notable. Certains week-end, il organise des concerts de musique classique dans la salle réservée aux cérémonies funéraires. Ce soir, c'est un récital Schubert, Kreisler et Dvorak. En attendant l'ouverture des portes, une centaine de personnes discute, à l'abri, devant le marbre noir et bourgeois du caveau d'une famille linzoize. Tout le monde porte un masque, l'Europe tremble du virus chinois et se dé-confine prudemment après plusieurs mois au ralenti. L'atmosphère est bruyante et joyeuse, on est heureux de se retrouver, de faire corps. Clemens sourit, armé de sa philosophie de douceur et d'acceptation des choses. Pendant le concert, il fait quelques clichés pour la promotion des évènements dans ce lieu incongru. Il pense aussi à la famille de réfugiés afghans qui vivent dans l'appartement à côté du sien. Heureux que son employeur, la très catholique fondation sainte Barbara, ait accepté de les loger gratuitement. Clemens croit en l'homme, en la rencontre. Il a des désirs de faire se croiser le meilleur de chacun. Il ne se soucie ni des étiquettes, ni des marques, ni des a priori. Il est pragmatique. Il vient vers vous avec ses yeux malicieux, son invincible envie de partage et vous désarme en quelques secondes. Quelques secondes qui suffisent pour que chacun se rappelle que la douceur, la gentillesse et l'entraide sont les seules choses qui nous relient vraiment.