Fabrice Raspati Auteur

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Hervé épisode 3 / Guyane / Gran Santi

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Hervé laisse le vent du soir sécher ses vêtements. Il attend ses enfants et son épouse qui viennent le chercher au degrad de Gran santi. C’est un joyeux foutoir que cette arrivée, la fin d’un voyage de plus de 12 heures.

Kenny avait téléphoné à un habitant du fleuve qui était venu récupérer Hervé sur son rocher perdu. Il l’avait ramené sur la pirogue sous les moqueries des passagers.

Plus tard, il avait encore fallu descendre et marcher quelques minutes pendant que l’embarcation, délestée du poids des hommes, passait un saut difficile.

Un coucher de soleil rouge, rosé, gris et bleu accueillait désormais les passagers et disparaissait en fondant dans la forêt tropicale. Mais personne ne s’en souciait et chacun s’affairait pour récupérer son chargement remis en mains propres par Kenny qu’il s’agisse d’un pack de bières ou d’un lot plus glorieux.

Hervé était le héros involontaire de cette journée et personne ne manquait de lui offrir une ultime blague ou une tape dans le dos en le croisant.

Hervé vit à Gran santi depuis 13 ans. Il enseigne le français au collège du village avec une foi digne d’un missionnaire jésuite malgré son indéfectible laïcité.

Il a choisi cet endroit parce que personne n’en voulait. Aussi parce que c’était beau et loin du bruit urbain. Et peut être enfin parce que c’était compliqué. 

Parce qu’ici la vie est compliquée. Sous ce ciel brûlant, sous ces pluies battantes, face à cette forêt imposante à laquelle il faut donner beaucoup de sueur dans les abatis .

Ici chez les Djukas c’est 6 enfants par famille, ici c’est plusieurs boulots pour s’en sortir. Ici c’est frapper ses enfants si besoin. Frapper fort.

Ici c’est la France qui impose son école, sa médecine, sa police, son aide sociale qui anesthésie les énergies. 

La France qui écrase les systèmes ancestraux qui se raréfient.

Ici c’est les amérindiens plus haut sur le fleuve qui n’aiment pas les Bushinengue; les Bushinengue qui ne s’aiment pas entre eux pour des alliances passées avec les anciens colons.

Ici c’est aussi la guerre récente du Suriname qui a fait fuir jusqu’à cette rive bourreaux et victimes qui se croisent chaque jour.

Ici c’est compliqué se dit Hervé, mais en fin de journée les reflets de l’eau sont striés comme des quadrillages, la gueule du fleuve s’ouvre avec douceur et cette douceur balaie la complexité. Le temps d’un coucher de soleil.

Hervé monte dans sa voiture, embrasse sa famille et comme un enfant joueur, touche le rosé du ciel du bout de son doigt.

 



18/03/2019
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